vendredi 26 janvier 2018

Sans foi ni loi.





Lors de notre dernière visite au Consulat de Houston, au mois de mai, nous avions soulevé la question concernant le retour de nos permis. 
Si tu es expat, tu sais probablement que certains états, dont le Texas proposent d’échanger le permis français contre un permis texan, communément appelé ID. Les démarches sont rapides et efficaces: la nana du guichet te tire le portrait entre deux empreintes digitales, te dit que ton accent est adorable, et roucoule que ton nom est difficile à prononcer. Tu repars le coeur léger, le bonheur texan t’éblouit un peu à la sortie.

Tu viens de signer sans le savoir, le contrat de l’emmerdement maximum post-expatriation. 

Revenons-en à notre visite au Consulat. L’employé nous a très vite rassuré en nous expliquant que nous ne reverrions surement jamais nos permis, suite à un changement dans le protocole. Voici donc sa version: les préfectures en France n’appréciaient pas que le Consulat conserve les permis que leur avait transféré le TxDPS (Texas Department of Public Safety), parce que ça leur prenait leur boulot. Donc, peu après notre arrivée, le DPS a commencé à renvoyer les permis directement en France où ils étaient remis à leur préfecture d’origine. 
Ça, c’est la théorie.

Dès le mois d’août, nous avons rempli les dossiers, fournissant toutes les pièces et les formulaires requis. Le dossier complet envoyé, nous avons repris le cours de nos vacances sans plus nous soucier de tout ça. Après tout, il y a des gens dont c’est le boulot, nos permis n’allaient plus tarder.

Le 11 septembre, j’ouvre avec impatience une grosse enveloppe en papier kraft provenant de la Préfecture de Marseille. Nos deux dossiers COMPLETS s’y trouvent, accompagnés d’une lettre nous expliquant qu’une réforme a eu lieu et qu’à partir du 11 septembre, les dossiers seront traités à la préfecture de Loire Atlantique. Je suis sous le choc, car clairement une personne a attendu la date butoir pour nous renvoyer le dossier sans le traiter, préférant refiler le bébé merdeux à quelqu’un d’autre. 
Comme il y a un numéro de téléphone sur le courrier, je m’empresse d’appeler et tombe sur une dame tout à fait charmante qui m’explique ne pas en savoir plus que moi et qu’effectivement nos dossiers d’impatriés seront désormais traités à Nantes. 

Je renvoie donc les dossiers à Nantes. 
Deux semaines plus tard, l’Homme, breton, reçoit un permis temporaire en attendant qu’un nouveau lui soit fabriqué. Moi, rien. Je l’accuse donc d’être pistonné parce qu’il porte un prénom breton. 
Plus de cinq mois plus tard, je n’ai toujours rien reçu. Le permis temporaire de l’Homme arrive à échéance dans quelques jours. J’ai toujours mon ID, l’Homme n’a même plus ça puisqu’il a du s’en séparer pour recevoir un permis définitif, jamais reçu.

Je conduis donc depuis six mois avec une ID texane périmée.
Après le gros stress des premières semaines, mes sorties me menant invariablement au bord des larmes, je dois dire que je prends les choses avec plus de philosophie tout en obéissant scrupuleusement aux limites de vitesse. Je me fais donc klaxonner, insulter et menacer très souvent, par des piétons et des pilotes de seconde zone.
Je pense souvent au mari de ma copine C. qui est gendarme et qui me regarderait avec des gros yeux s’il savait. Et oui, je cache ce dysfonctionnement administratif comme une maladie honteuse. Je crierais bien sur tous les toits:  « Je suis innocente, je suis une victime du système! » mais j’ai l’impression que c’est ce que clament tous ceux qui ont un truc à se reprocher. 

Nous avons donc saisi toutes les solutions qui s’offraient encore à nous, restreintes malgré tout, puisqu’une réforme a supprimé la plupart des contacts physiques concernant les permis et cartes grises: tout se passe sur internet, plus d’interlocuteurs! 

Comme c’est une expérience divertissante, je me permets de te montrer des extraits des emails reçus successivement par le service public et l’ANTS qui se renvoient la balle, ne sachant vraisemblablement pas quoi faire de nous!
C’est un plaisir pour les yeux:

« L'Agence Nationale des Titres Sécurisés ne traite pas les demandes d'échanges et de permis étrangers. Les délais de traitement sont à prendre en considération.

Notre service est en charge du suivi de la production et de l'acheminement des titres.
Pour obtenir ces informations je vous invite à consulter le site www.service-public.fr"

Suivi de:

« L'équipe de Service-Public.fr vous aide à trouver une information générale répondant à votre demande. Si nécessaire, nous vous orientons vers l'interlocuteur susceptible de compléter cette réponse.

Nous ne sommes pas en mesure de traiter votre demande qui relève de la compétence l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) - Permis de conduire. 
Nous vous suggérons de contacter ce dernier à l'aide des coordonnées accessibles dans l'annuaire de service-public.fr"

Nous avons donc sorti le plan M, plan Merdique puisque le plan B est dépassé depuis longtemps, tout en espérant secrètement devoir aller jusqu’au plan Q, réconfortant.
Nous avons écrit à tous les ministres, secrétaires d’état et sénateurs des Français de l’étranger ayant un rapport de près ou de loin avec notre problème, sans succès. 

L’espoir est né hier lorsque le Défenseur des Droits nous a contacté et dit s’être saisi du dossier. 

Je venais de déclarer mon permis perdu, je ne sais même pas si ça sera accepté (les voies de l'administration étant comme celle du Seigneur, impénétrables), et à la question « quelles sont les circonstances de la perte de votre permis » j’ai répondu que la Préfecture de Nantes l’avait perdu. J’ai adoré ce moment de délation et je le referai avec plaisir si je pouvais. 
Suis-je bête, ce moment arrivera surement plus vite que je ne le pense et je suis quasi-sûre que le plaisir aura disparu. Je n’ai que peu d’espoir de voir une anomalie de l’administration française se résoudre, sans être accusée d’en être à l’origine. 

C’est d’ailleurs ce que m’a laissé entendre mon interlocutrice du service des permis volatilisés par téléphone. Elle a d’abord écouté patiemment mon histoire sans piper mot. Comme c’était un peu long, et que le silence au bout de la ligne m’inquiétait, j’ai demandé à plusieurs reprises: « Vous êtes toujours là? ». Et je l’imaginais, le visage dans les mains en train de demander aux impénétrables voies du Seigneur: « Pourquoi moi? ». Je suis d’ailleurs fermement convaincue que c’est un point que l’on a eu en commun à un moment du récit. 
Bref, quand mon histoire a été terminée, je suis quasi-sûre de l’avoir entendu compulser nerveusement son cahier pour trouver la démarche à suivre en cas « de coup du sort merdique ». Elle n’a pas trouvé et m’a recommandé deux solutions, déjà testées qui avaient aussi déjà échouées, puis m’a déclaré à plusieurs reprises:  « Madame, je vous assure, si j’avais la solution, je vous la donnerais! »
En fin de course et aussi désespérée que moi, mon interlocutrice m’a donc conseillé de me déplacer. A Nantes. 


« Ceci est une oeuvre de fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite »