jeudi 9 juin 2016

Le Lauréat



A la fin de l’année scolaire, c’est à dire le 25 Mai, dans notre district scolaire ont eu lieu les « Graduations »: la remise des prix pour les élèves de lycée qui ont glorieusement fini l’année. Si tu me lis régulièrement tu sais que nous sommes outrageusement jeunes surtout moi et donc absolument pas concernés par des enfants en âge d’aller au lycée. 
Cette expérience risquait donc de nous passer sous le nez, si l’une de nos amies n’avait pas eu la géniale idée de nous inviter à la Graduation de son fils. 
Autant te dire que, comme d’habitude, en Amérique, tout est réglé au millimètre près et que nous n’avons pas été déçus. 
Tout a commencé par une jolie carte d’invitation reçue au courrier. Le diplômé en question, beau gosse, ne sourit pas sur les photos qui ornent l’invitation et «  gives it all to the camera », (« donne tout à l’appareil ») comme nous l’explique sa mère en riant. Il a 17 ans mais quand il sourit, il ressemble au petit garçon de 8 ans que j’ai aperçu sur des photos. 
La cérémonie va se dérouler dans le Convention center de Fort Worth.
Il pleut depuis des jours et le matin de la cérémonie ne déroge pas à la règle, il pleut des trombes d’eau, on patauge dans le parking, le Texas est sous l’eau.  

Convention Center de Fort Worth avant l'arrivée des Seniors


En entrant dans le Convention Center, on comprend qu’ici la Graduation, c’est du sérieux. 


On devrait peut-être s’en inspirer en France. 
Tous les ans, au mois de Juin, Jean-Pierre Pernaut et ses collègues, visionnaires, te présentent les révisions du bac selon les cancres et les cracks qu’ils auront dégottés. 
Comme tous les ans, tu rencontreras ainsi le plus jeune élève puis le plus vieux à se présenter à l’examen. 
Le jour J, on va pénétrer à l’aube dans la cuisine de la famille Machin pour partager le petit déjeuner de vainqueur préparé avec amour par les parents Machin super stressés, pour leur progéniture ensommeillée. 
On filme même les jeunes en retard, les premiers à sortir, et quelques semaines après, les larmes et les cris de joie des reçus, le désespoir de ceux qui vont à l’oral, etc… 
Tout ça généralement sur fond de polémique annuelle, la fameuse polémique du « bac qui a perdu sa valeur » à coup de pourcentages sur les réussites et les échecs de nos lycéens, des lycées privés, publics, selon les académies, l’influence de la météo sur les révisions, le blabla insipide habituel. 
Tout le monde va y aller de sa petite critique et finalement ceux qui ont le bac vont affirmer à ceux qui le passent que l’on ne peut rien faire sans, et ceux qui le passent vont se demander pourquoi se casser le train à le passer si ça ne veut plus rien dire. T’avoueras que c’est moyennement motivant d’entendre que le bac c’était plus difficile y’a 20 ans, surtout qu’il y a 20 ans, quand on révisait, on révisait. On n’était pas partagé entre la 2è Guerre Mondiale, Instagram et Snapchat. Et je te ferais aussi remarquer que les jeunes d’aujourd’hui ont quand même 2o ans d’histoire en plus à se coltiner, par rapport à y’a 20 ans. CQFD.
Tu vois, tu peux éteindre ta télé, je viens de te faire gagner un temps fou, je viens de te raconter les infos nationales du prochain mois. 

Pendant ce temps, ma copine américaine a créé ses cartons d’invitation, acheté  la cape noire de son fils, le Graduation hat et le tassel, le couvre-chef carré et le pompon qui fait loucher. L’école a retenu le Convention center de Fort Worth de 14 à 16h. La Band a répété sans ses membres habituels. Lorsque nous entrons, elle est déjà installée et constituée des élèves qui ne "graduent" pas, et la salle est pleine comme un oeuf,  remplie de familles et amis, présents pour applaudir les jeunes.

Les seniors, c’est à dire les élèves de Terminale sont tous habillés très classe pour l’occasion: les filles surtout n’hésitent pas à porter des robes de soirée et des stilettos, qui seuls sont visibles sous la cape.

Les Seniors qui se sont distingués cette année prennent place sur la scène avec tout le gratin du Lycée. On a reçu un programme nous expliquant le déroulement de la cérémonie. Je ne sais pas qui a eu la présence d’esprit de nous pondre le livret, mais je le remercie intérieurement. On y trouve l’identité des intervenants, les paroles de la chanson de l’école et surtout à quel moment nous devons nous lever et nous assoir. Je repense à ces moments de solitude les rares fois où je me pointe à l’église en France et je me demande pourquoi c’est pas pareil.

Discours du Valedictorian

Les dix meilleures élèves de la promo sont cités et le valedictorian et salutatorian, major et second de la promo montent au pupitre à tour de rôle et nous lisent leurs discours.
Autant te dire qu’à 18 ans, je ne connais pas grand monde dans mon lycée qui aurait été capable de pondre un truc pareil. Quelle maturité! Quel à propos! J’en suis toute retournée. Je verse même une larmichette quand la salutatorian nous explique qu’elle est ravie d’avoir si bien réussie notamment pour en remontrer à celui qui, quelques années auparavant lui avait prédit qu’elle ne ferait jamais rien pour deux raisons remarquables: « T’es une fille et t’es blonde ».
Elle est aussi très fière de montrer que la moitié des dix meilleurs élèves de Trinity High School sont des filles, à ses côtés, sur l’estrade. Elle nous explique aussi, qu’elle avait secrètement un autre challenge: perdre du poids. Elle pèse donc 20 kg de moins qu’en Août dernier, elle sourit de tout son bonheur et finit son discours par des remerciements. « Ma famille, mes amis, mes professeurs et Jésus-Christ »
Je me retourne vers l'Homme qui reste impassible alors que je glapis dans son oreille: « Jésus Christ? »
Elle a le bac et remercie Jésus Christ? 
Le mari de ma copine se retourne vers moi et me jette un regard réprobateur au moment même où je demande à l'Homme si on est dans une secte. Mes paroles se perdent dans l’ovation que la salle fait à Jésus. 
S’ensuit le discours du major de promo dont le meilleur pote a dit de lui pour l’introduire derrière le micro, « Je le respecte surtout parce qu’il est le mec qui sort avec Anna Smith ». Ce que j’ai trouvé fort drôle. Il est temps d’appeler un par un les élèves pour en faire des diplômés. Le diplôme leur est remis, une photo est prise, ils défilent sur la scène. Les joueurs de foot sont ovationnés par toute la salle. C’est sûr que c’est moins intime que la remise de notre propre diplôme, quelques années en arrière, remis par une secrétaire grincheuse qui regrettait sa matinée à la plage, dans une salle de classe surchauffée, dans laquelle il n’y avait ni photo ni trompette. 
De toute façon, on n’imaginait pas qu’il y avait une autre façon de célébrer le bac : en buvant une sage coupe de champagne avec les parents soulagés avant de se rendre à une Happy Hour titanesque, répétée toute l’année, au son de « Smells like teen Spirit». Et où l’on s’en remettait plus à Nirvana qu’à Jésus pour sûr. 

Il est maintenant l’heure de jouer l’hymne de l’école et on se lève tous comme un seul homme: le drapeau de Trinity High School traverse le carré des diplômés, tout le monde le pointe du doigt en reprenant le refrain, T’S UP!


Le drapeau de Trinity HS traverse la salle sous les ovations

L’émotion est à son comble, les élèves peuvent changer le pompon de côté, ils sont officiellement diplômés. Ils peuvent maintenant jeter leur graduation hat en l’air, j’ai les larmes aux yeux, ma copine aussi. Mais pas pour les mêmes raisons. Elle pleure son premier bébé qui va quitter la maison, je pleure parce que c’est beau comme un film!
Quand on sort du Convention Center, la pluie a cessé, le soleil brille, il fait 39C. 
Class of 2016, que votre avenir soit aussi radieux et aussi heureux que cette journée!







mercredi 1 juin 2016

Naked and Afraid




Je ne sais plus si je t’ai déjà parlé de la télé américaine. 
La triste vérité à son sujet, c’est que quand tu vis ici, tu n’allumes quasi jamais ta télé. La publicité est omniprésente et tellement envahissante qu’il faut user d’une infinie patience et de stratagèmes subtils si tu tiens vraiment à donner sa chance à une émission américaine. Ceci dit, vu la diversité des émissions proposées, il te faut beaucoup de courage et d’abnégation. Nous, c’est pas compliqué, on a opté pour la version américaine de The Voice (parce que j’aime les tatouages) et pour la chaine anglaise PBS, le mercredi soir. 
Il s’agit de l’émission Nature. Une heure de reportage animalier par semaine quand tu as grandi avec Cousteau et les Animaux du Monde le Dimanche après-midi, ça peut avoir l’air d’une revanche d’enfoirés sur tes propres enfants. Mais en fait, on se rend compte que l’hibernation des castors dans le Minnesota ou les hôpitaux pour koalas albinos en Australie donnent une saveur particulièrement apaisante à l’heure du coucher. 
Après ça, tu peux regarder n’importe quelle série peuplée de faux applaudissements et de rires enregistrés et te dire que le scénario mérite un Oscar.
C’est en zappant remplis d’espoir au début de notre séjour que nous avons découvert avec une grande curiosité des émissions genre Ninja Warriors ou encore Naked and Afraid. 
Celle-ci a vraiment ma préférence. Je ne vais quand même pas te raconter Ninja Warriors, avec un peu de chance, la télé française nostalgique des années Guy Lux, te proposera ça cet été, Intervilles version stéroïdes.
Donc, Naked and Afraid. Comme son nom l’indique, il y a des poils et de la trouille. Quel programme! 
Si tu es en quête de nichons et de fesses, sache que tout est flouté, tu vas donc rester sur ta faim. Zappe sur HBO directement.
Le principe est simple, on prend un homme et une femme (qui ne se connaissent pas, c’est plus drôle), on leur confisque leurs sapes et leurs tongs, à la place on leur file un sac avec une carte et l’objet de leur choix chacun, et on les dépose en pleine nature, de préférence hostile, dans laquelle ils doivent survivre 21 jours. 
Ils doivent donc se débrouiller pour trouver de la nourriture, de l’eau, et faire du feu très rapidement. 
On a regardé très peu d’émissions, mais tous les cas de figure se sont présentés. Les deux protagonistes sont poussés dans leurs retranchements par la faim, le froid et la peur. Oui, un peu comme Koh Lanta mais en plus trash, parce que quand même, péter une crise de nerfs en s’agitant dans tous les sens quand tu as les meules à l’air, même flouté, ça a de la gueule. 
Il y a ceux qui se hurlent des insanités, ceux qui s’ignorent, ceux qui deviennent copains comme cochons, ceux qui deviennent cochons tout court et qui te font te demander si tu vas devoir protéger d’une main chaste la vue de tes enfants. 
Il y a ceux qui se débrouillent tellement bien que tu as l’impression de regarder une émission de Bear Grylls version HBO, et qui te pousseraient presque à postuler. Il y a ceux qui crèvent tellement de faim qu’ils finissent très vite par s’engueuler et aller bouder chacun à un bout de la plage et généralement, un des deux a une insolation et sort sur une civière.
Il y a les pudiques qui se cachent derrière leur sac, souvent des nanas d’ailleurs. Arrête, on sait très bien que les hommes adorent exhiber les dimensions de leur intimité. Surtout si en plus, ils ont la possibilité de faire une démonstration de leur habileté à chasser avec une lance ou une sarbacane. 
La dernière fois, un texan, super à l’aise dans son corps, les mains sur les hanches, les jambes galbées, écartées, bien plantées dans le sol, le sac nonchalamment jeté sur l’épaule, attendait de pied ferme la femelle qui allait lui être attribuée. Si-si c’est quand même un peu ça. Quand elle a enfin été larguée sur zone et pour éviter toute fatigue supplémentaire au mâle qui aurait pu impliquer une quelconque parade amoureuse, elle a expliqué directement qu’elle était lesbienne, en couple et pas impressionnée.
Ça a été une des meilleures émissions qu’il m’ait été donné de voir, même si mon référentiel est restreint. Leur complicité et leur humour ont transformé l’aventure: ils ont gagné et c’était beau à voir! 
Enfin, gagné! 
Rien gagné puisque dans cette émission, remporter le défi ne te rapporte qu’un pendentif  miteux.

Passer trois semaines avec des serpents, des tiques et des araignées qui t’empêchent de dormir, quand c’est pas un ours, un inconnu relou qui va s’exhiber à longueur de journée et te proposer la nuit de te réchauffer, la pluie, les orages, pas d’apéro, pas de téléphone, tout ça pour un collier hippie en poils de zébu avec un bout d’os dessus, moi, c’est tout vu, j’y vais pas.