jeudi 11 février 2016

Cantine, obésité et lunch box (partie 2)


A notre arrivée au Texas, j’ai eu l’impression d’entrer dans le dessin animé « Wall-E ». Beaucoup de personnes en surpoids qui ne savent se déplacer qu’accompagnées d’un tonneau de soda, et qui conduisent allongées, parce qu’il n’y a pas assez de place dans la voiture, une main sur le soda l’autre dans le paquet de chips.
Un copain canadien nous a dit récemment:  « Tu sais, aux US, on ne vieillit pas comme en Europe. Compare une personne de 60 ans en Amérique du Nord avec un européen de 60 ans, c’est incroyable. » 
Comment pourrait-il en être autrement? 
Est-ce que tu sais qu’il y a des chaises roulantes électriques en libre service à l’entrée des supermarchés? 
La plupart du temps elles ne sont pas utilisées par des personnes handicapées, elles sont utilisées par des personnes atteintes d’obésité morbide qui ne peuvent plus se déplacer. Et ce n’est pas de l’eau qui déborde de leur caddie, crois-moi!

De même, à l’école de ma fille, un jeune papa vient en voiture chercher son fils, avec une chaise roulante électrique, accrochée à l’arrière de son pick-up. J’ai pensé à un vétéran. Pas du tout! Il s’est garé sur une place handicapée, est sorti en marchant de sa voiture, a attrapé sa chaise roulante, s’est installé dedans et roulez jeunesse!
Il souffrait d’obésité à un stade dramatique et ne pouvait clairement pas tenir sur ses genoux bien longtemps.

Une de mes bonnes amies m’a avoué récemment avoir été « very chubby» (potelée). Elle m’a expliqué qu’un jour elle avait eu un déclic, avait décidé de se nourrir «comme une française » et s’était mise au sport. Toute sa famille souffre d’obésité, elle fait exception. Elle cuisine, y prend plaisir et enseigne à ses filles comment vivre une vie saine. 
Tu as noté le « comme une française »? 

La cuisine du Sud des Etats Unis est très riche et très grasse. La friture est omniprésente, et la mention « ne mange pas trop salé, pas trop sucré et pas trop gras» ferait s’étouffer de rire sur leurs chips des gamins devant leur télé.
A chacune de nos sorties, si il y a bien une chose à propos de laquelle je ne m’inquiète jamais, c’est la nourriture. Je n’ai pas dit que c’étaient des sorties gastronomiques, loin de là!

Tacos
Tacos au fromage, brisket et pico de gallo: une tuerie!


Je dis qu’il y a de quoi remplir des estomacs affamés au milieu du désert en Arizona, ou en rase campagne dans le Sud Texan. N’importe quel jour de  l’année. Si je me souviens bien, un dimanche sur les routes de France, à 15h, c’est loin d’être aussi commode!

A notre retour de Taos, au Nouveau Mexique, pour le week end de Thanksgiving: il neigeait, les routes étaient verglacées, on avait 12 heures de route à avaler. Lorsque le petit déjeuner bio dégotté à la sortie de la station nous a semblé un lointain souvenir, on a dû se contenter de chaussons aux pommes chimiques et de bouteilles d’eau « purifiée » achetés en faisant le plein, proposés entre les « corn dog » et les chips.  
Tu ne veux pas savoir ce qu’est un corn dog, crois-moi. 
Tu insistes?
J’ai investigué, j’ai goûté et j’ai des remontées acides rien que d’y repenser. Une saucisse plantée sur un bâton trempé dans la pâte à frire et frite. 
Faut aimer l’huile!

Corn dog
Corn dog



Si tu n’es pas convaincu et que tu trouves que je fais ma fine bouche, non seulement, j’ai peur pour tes artères mais en plus sache que neuf des dix états possédant les plus hauts taux d’obésité sont situés dans le Sud. Au niveau national, le Texas est classé 15e. Les populations les plus pauvres sont les plus touchées, de même que les populations afro-américaines et hispanos. En moyenne, de 2 à 19 ans, un enfant sur trois est obèse…

Je te parle des hormones, des antibios, des OGM? Je te raconte qu’une grande majorité des petites filles de 10 ans ici, a déjà vu avec bonheur la puberté lui tomber dessus?
A 10 ans, les gamines sont aussi grandes que moi, ont les seins que je n’aurai jamais et les garçons n’en parlons même pas. A cet âge-là, si ils parlent de jouer au docteur, crois-moi, ce n’est pas au Docteur Maboul…

L’un des sujets qui revient le plus souvent quand deux expats français se croisent, c’est la bouffe!
Ils se refilent au détour d’une conversation les bonnes adresses pour trouver LE saucisson qui fait illusion sans risquer sa liberté à la douane, une galette des rois digne de ce nom, le vin français à des prix défiants toute concurrence et autres victuailles pour festoyer dans le bonheur. 
Lorsque je fais mes courses, je dois malheureusement visiter plusieurs supermarchés: 
Celui où le pain est bon, celui où les fruits et légumes sont frais et bios, celui où la viande est « grass-fed » (nourri à l’herbe), celui où les poulets ont couru le plus loin et celui où je trouve du poisson l'oeil vif et clair.
Si je te raconte que le vin et les alcools forts s’achètent dans des supermarchés spécialisés, tu imagines le temps perdu. 

Combien de fois ai-je vu passer des articles sur les réseaux sociaux du genre: 
Que ramenez-vous de France? 
Qu’est ce qui vous manque le plus en Amérique?
Nous les Français, sommes malgré de nouvelles habitudes alimentaires peu recommandables, de fines bouches et notre tradition gastronomique nous suit finalement partout. Y a-t-il quelque chose qui m’agace plus que de voir des réactions de joie à l’annonce de l’ouverture d’un fast food dans ma région d’origine. 
Je n’ai rien contre les hamburgers et je repense même avec émotion à mon premier hamburger. Fait maison par une copine d’école, j’avais 15 ans. Elle a fait revenir des oignons, tranché des tomates juteuses, essoré de la salade verte, envoyé grésiller un steak hâché au fond d’une poêle et l’odeur qui s’échappait de la cuisine me taquine encore les narines… 

Pour en revenir à l’école et à son rôle dans l’éducation alimentaire des enfants, Vendredi, c’est Valentine’s Day Party à l’école de ma fille. Je suis volontaire pour aider la maîtresse et acheter quelques snacks. J’ai proposé des fruits et des pretzels. La maîtresse m’a demandé de m’en tenir à la liste: -chips et Cheetos. O joie!
On est super loin de la petite école de mon quartier Aixois où la directrice râlait quand une maman avait le malheur d’amener un gâteau qui n’était pas fait maison, pour fêter un anniversaire. Finalement, j’y repense avec nostalgie. Après tout, nous sommes français, tous des chefs potentiels aux yeux des américains, il y a un standard à tenir, non?






mercredi 10 février 2016

Cantine, obésité et lunch box (partie 1)





Je te répète souvent combien le Texas, c’est chouette. Aujourd’hui, j’ai décidé de parler d’un sujet sur lequel je me tais depuis trois ans et demi.
Trois ans et demi que je cherche comment aborder le sujet. Trois ans et demi que je peste quasi tous les matins. Trois ans et demi que je me demande comment je vais tenir un jour de plus. 
Ça risque de tenir du roman fleuve; aujourd’hui, je te parle cantine, obésité et lunch box.

Pour ceux qui ne sont pas familiers de ce concept, plus communément appelé dans ma tête,  "la putain de lunch box" il s’agit de préparer:
1- un repas appétissant, 
2- qui s'accorde aux goûts  alimentaires compliqués de ta descendance (made in France, ce qui a son importance sinon EVIDEMMENT que je leur refourguerais un "peanut butter jam" PBJ pour les intimes), 
3- qui n'a pas besoin d'un micro-ondes ni d'un couteau pour être dégusté (Malheureux! Et puis pourquoi pas un pique à glace?), 
4- qui est encadré de deux petits glaçons bleus, 
5- dans un joli petit sac à l’effigie de Hello Kitty pour ton enfant qui, par goût personnel ou par clairvoyance maternelle, se refuse à manger à la cafétéria de l’école. 
Au cours de notre première année texane, j’ai assisté aux repas de mes enfants tous les jours pendant un mois à la cafétéria. Ça aussi, c’était nouveau. Essaye un peu en France de taper l’incruste dans la cantine pour tenir compagnie à ton gosse pendant le repas de midi, et n’hésite pas à me raconter ton expérience en commentaire, hashtag « émeuteàlacantine ».

Ici, point d’émeute. Comme d’habitude, tout est parfaitement chorégraphié.
Les maîtresses encadrent les élèves et mangent en même temps qu’eux, épluchant une orange ici, ouvrant une brick de lait là.
Les enfants rentrent à la queue leu leu dans la cafet’, se dirigent vers le côté du comptoir qui leur est attribué et ils attendent en ordre dans un léger brouhaha, leur tour. 
Oui, un léger brouhaha.
Un feu de circulation est installé sur le mur, et il se doit d’être au vert. Si il clignote, les enfants doivent comprendre d’eux-mêmes qu’ils sont trop bruyants. Si ça passe au rouge, les maîtresses interviennent. J’t’explique parce que ça vaut le coup d’oeil.
Les maîtresses lèvent une main en l’air, en faisant un 0 avec leurs doigts, sans rien dire. Les enfants, ceux qui sont attentifs, répètent le geste et les autres qui bavassaient avec leur voisins ou faisaient carrément les cons- ce sont des enfants pas des zombies non plus- comprennent le message et au fur et à mesure, le silence s’impose. 
Il arrive, en début d’année, que les maitresses fassent usage d’un autre truc: elles mettent deux doigts sur leur gorge et expliquent aux enfants que si ils en font autant, ils sauront à quel moment ils parlent trop fort. Si ils sentent une vibration sous leurs doigts, c’est trop fort.

Tout ça, ça marche jusqu’à 10 ans. Je ne te cache pas que les 6e grades n’en ont -comment dire ça de façon imagée et réaliste?- oui, voilà: rien à péter et mon fils s’est plaint plus d’une fois que la classe s’était fait sucrer la récré pour cause de bordel dans la cantine.

En tout cas, ça fait quand même son petit effet quand tu es habituée à une maîtresse française qui hurle beaucoup. Je me souviens de ce jour en France où j’ai accompagné la classe à la piscine avec une autre maman. La maîtresse trouvait que les enfants étaient trop dissipés (rétrospectivement, à peine un feu orange) et avait trouvé bon de hurler que les deux mamans accompagnatrices s’étaient plaintes de leur manque de discipline (QUOI?). Et pour la première fois de ma vie et la dernière j’espère, j’ai entendu un gamin de huit ans me dire « je t’emmerde, madame » dans les vestiaires. 

Mais je digresse une fois de plus. 

Mes deux enfants ne parlant pas un mot d’anglais et la plus jeune n’étant pas habituée à manger ailleurs qu’à la maison, je n’allais pas leur faire ce coup-là. Ils en avaient déjà assez gros sur la patate en ayant quitté leurs potes, leurs familles, leurs instits, leur appart, leurs habitudes, sans que j’en rajoute une couche, du genre :
« -Ah ben non, maman ne vient pas à midi, maman a un blog à écrire. »
J’ai donc fait l’aller et retour deux fois par jour entre l’école et la maison pendant le premier mois, apportant religieusement la lunch box telle la petite maman mésange déposant la becquée à ses petits dans le nid douillet. Avec amour.

Tu parles.
La première année, mes enfants étaient dans la même école. C’était pratique. 
Bon, en fait, non. Ma fille en 1e année, mangeait à 10h30. Oui, le repas de midi. Du moins son repas de la mi-journée, parce que pour le coup on était loin de midi. Mon fils, lui, mangeait 3/4 d’heure plus tard. Les enfants se présentent par niveaux dans la cafétéria qui ne serait pas assez grande pour contenir toute l'école en une ou deux fois.
Je zonais donc dans le couloir, en attendant l’arrivée de ma progéniture. 
Ce qui était vraiment pratique, c’est que lors de notre première année passée ici, la cantine proposait deux ou trois repas par semaine qui étaient susceptibles de plaire à mes deux petits français: La baked potato (la pomme de terre en robe des champs), les spaghettis et la pizza.
Au fil de ces trois années, les menus ont évolué. Les pommes de terre et les spaghetti ont quasi disparu des menus, remplacés par des repas calamiteux. Note la persistance de la pizza. Je vais y revenir.

C’est le moment pour moi de te rappeler que les First Ladies américaines choisissent un cheval de bataille lorsque leur mari arrive au pouvoir. 
Celui de Michelle O., c’est l’obésité infantile. Elle a donc installé un potager dans le jardin de la Maison Blanche, histoire de rappeler que les légumes et les fruits sont comestibles même si ils poussent dans la terre.
Elle a aussi payé de sa personne. Elle a dansé et bougé sur les plateaux télés pour promouvoir son action. Ce qui lui a valu de s’entendre dire par un gentleman:  « She needs to drop a few ». ("Elle a besoin de perdre un peu".)

Ma pauvre Michelle, je te le dis officiellement: «  Tout ça -le potager, la danse et les humiliations- n’a servi à rien. »
Dans un pays qui compte la pizza comme un légume à la cantine, comment peut-on lutter?
Comment peut-on habituer des enfants à manger équilibré lorsqu’à la cantine de leur école, on leur propose:






Disons que j’ai huit ans et que je mange deux repas à l’école par jour:
Lundi, au petit déj’, j’ai donc mangé du poulet servi avec des gaufres (no comment) parce que les céréales, c’est moins fun. 
A midi, j’ai vu la pizza, et je me suis dit, « Tiens, je vais prendre le légume ». Le soir, comme mes parents sont rentrés tard, ils ont acheté des hamburgers sur la route. 
Mardi, j’étais ravie, il y avait une pizza au petit déj'. C’est maman qui va être contente quand je vais lui dire que j’ai mangé des légumes deux fois dans la semaine. A midi, j’ai choisi les nuggets de poulet. Comme je n’ai jamais vu la vidéo qui explique comment on fait des nuggets de poulet sans poulet,  je me suis régalée… 


Sois patient, demain, promis je rentre dans le vif du sujet...









mercredi 13 janvier 2016

La loi des armes


"L’un des deux n’est pas le bienvenu chez Kroger. 
Devinez lequel."


Les cartes de Noël et les chocolats rouges et verts ayant disparu des magasins, je crois pouvoir vous annoncer que la nouvelle année a commencé. Exit les voeux de bonheur et les bonnes résolutions, la nouvelle année a commencé sous le signe des armes au Texas. 
J’imagine que c’est avec incrédulité que la nouvelle a été reçue dans les foyers français. Depuis le 1er Janvier, les Texans ont le droit de porter leur arme de poing à la ceinture, c’est l’ « open carry » comme on l’appelle ici.

Ce qui de loin peut horrifier, étonner, questionner, est de près beaucoup moins impressionnant.
Personnellement, j’avais entendu parler de la loi depuis quelques mois sans vraiment lui prêter plus d’attention. Ici, la majorité des gens reconnait sans aucune gêne posséder une ou plusieurs armes, tirer régulièrement, et fréquenter les foires aux armes. Ce qui de France peut paraitre effrayant et mystérieux, est ici la norme. Il n’y a aucun tabou et il est arrivé à plusieurs reprises que des copains nous montrent leurs armes, modernes ou de collection, et en discutent avec nous, ou nous emmènent au champ de tir.
J’ignore comment la loi qui est entrée en vigueur le 1er Janvier a été présentée par les médias français, mais je suppose que le sensationnalisme a dû prendre le pas sur l’information. Que ce soit clair, la NRA ne m’a pas appelé dans ses rangs et je ne me sens pas plus en sécurité au Texas sous prétexte que tout le monde a une arme. 

Le Texas est le 45ème état à autoriser l’open carry et le 15ème à imposer l’obtention d’un permis pour en avoir le droit. La population du Texas est d’à peu près 27,5 millions d’habitants pour un territoire un peu plus grand que la France. Le nombre de personnes possédant une arme au Texas est estimé à 36%.
A la louche, on va dire qu’environ 825 000 personnes possèdent le fameux permis de port d’armes appelé jusqu’à présent «  concealed handgun permit », ou permis de porter son arme de poing cachée.
Il s’agit de « handguns » ici, donc pistolets et revolvers. Sais-tu que les carabines et autres armes longues sont autorisées si elles ne sont pas portées de façon menaçante?

La nouvelle loi permet de porter son arme dans son holster, sans la cacher pour les détenteurs de l’ancien permis. Pas de John McClane avec le flingue enfoncé dans le pantalon, ils doivent être portés sur l’ épaule ou sur la hanche,  uniquement, chargés ou pas. 
Jusqu’à présent, je n’ai pas eu l’occasion de croiser une personne armée. Il faut préciser que certains magasins se réservent le droit d’apposer une pancarte sur la vitrine, annonçant qu’ils n’autorisent pas l’open carry dans leurs murs.
Les magasins Sprout et la grande chaine de supermarchés HEB ont donc décidé d’apposer ces pancartes. Le Huffpost américain a listé sept grandes chaînes supplémentaires:
Whataburger (LA chaîne de burgers du Texas), Chipotle, Panera Bread, Sonic, Chili’s, Starbucks et Target. 
Et je peux rajouter Whole Foods, puisque ce matin j’ ai découvert ce panneau sur la porte: 

Panneau en anglais et espagnol, placé à l'entrée du magasin Whole Foods à Colleyville, Tx, interdisant l' entrée du magasin aux personnes portant une arme de poing, ou open carry.

La plupart de ces magasins se sont déclarés contre l’open carry parce qu’ils savent que beaucoup de clients risquent d’être perturbées par la promiscuité avec une personne armée. Certains directeurs de magasins ont même déclaré être détenteurs d’armes, mais ne pas autoriser le port d’armes simplement pour ne pas effaroucher les clients. Le site Open Carry Texas s’est empressé de donner une solution. Un « wall of shame » (mur de la honte) a été créé sur le site, nommant ces magasins et surtout, car ils ont réponse à tout, il est possible d’acheter une petite carte « no gun = no money » à tendre à ces commerces « anti-gun » pour qu’elles réalisent l’ampleur de leur perte.

Concrètement, ça change quoi dans la vie de tous les jours?
Je suppose que ma fille va continuer à rentrer de l’école en me disant « Aujourd’hui, on a eu un « lockdown drill », (un exercice de confinement) et plutôt que de t’expliquer ce que c’est, je vais te montrer:






Elle m’a raconté plus d’une fois ces procédures, mais la voir de cette façon, m’a fait monter les larmes aux yeux. Une porte fermée, une pièce dans la pénombre, des enfants silencieux? C’est la réponse à opposer à un fou qui a une armurerie dans sa poche. 


Les enfants vont donc continuer à s’entrainer à se cacher sous les tables sans faire de bruit, porte verrouillée, et les grands vont continuer à se cacher les yeux. Certains vont même continuer à répéter qu’être armé ça permet d’éviter des drames, comme à Newtown, « Ah! si les maitresses avaient été armées! » Ou, comme à Paris, « Ah si les Parisiens avaient été armés! » 
Et ils vont continuer à se répéter ces inepties comme des mantras. 
Le prochain pas?
A partir du mois d’Août, les étudiants et membres de faculté auront la possibilité de porter des armes cachées (concealed weapons) sur les campus.
Le nouveau cheval de bataille des défenseurs de l'open carry?
Le « Constitutional carry », le droit de porter son arme sans attendre l’autorisation du gouvernement, c’est à dire sans permis.










mercredi 30 décembre 2015

Tornado season (2ème partie)


Vue d'une rue au Texas, sous un ciel de plomb


Quand on a su que notre expat était acceptée au Texas, j’ai pensé à deux trucs vraiment effrayants qui pouvaient hypothétiquement me gâcher la fête: les serpents et les tornades. Dans le désordre. Les deux ont la fâcheuse tendance à frapper par surprise. Et dans les deux cas, quand ils apparaissent, on sait qu’on  n’a pas beaucoup de temps. Le mieux, c’est de s’y préparer. Comme répète l’Homme qui aime les belles phrases « espérer le meilleur, se préparer au pire».
Le seul bémol dans l’histoire c’est que pour les tornades, ça ne s’applique pas vraiment.
Une copine française s’est exclamée récemment: «Tu vas être Wonder Woman quand tu vas rentrer! » 
J’y ai réfléchi et malheureusement, je ne crois pas que côtoyer quelques mois par an le risque qu'une tornade se forme au-dessus de ma tête, m'ait rendu plus courageuse. Finalement, on dit toujours que le propre de l'homme c'est de savoir s’adapter. Clairement, les Texans se sont adaptés à leur environnement hostile. En d'autres termes, ils font avec. J'essaye d'en faire autant.

A la différence d'un ouragan, il est difficile de prévenir avec efficacité les populations de l'imminence d'une tornade. Sur les applications météo des téléphones, on sait quelques heures à l’avance si notre région est susceptible d'être traversée par des orages. Le National Weather Service -la météo nationale- émet alors un bulletin d'alerte. Il peut être de deux sortes pour les tornades. Je me suis habituée au premier mais le deuxième me fait toujours dresser les cheveux sur la tête:

Tornado watch: un bulletin est émis si une tornade est possible dans la région ciblée par l'alerte. En général, la bonne nouvelle est livrée avec la liste des « comtés » visés, que je compulse nerveusement, en espérant ne pas trouver le mien. 

Tornado warning: autant te dire que celui-là sent mauvais. 
Le bulletin est émis quand la tornade est imminente. Le téléphone déclenche une alarme et te livre le message d'alerte. 
Généralement, il est accompagné d'une note d'humour du genre « Trouvez un abri au plus vite ». Même chez moi entre mes quatre murs, j'ai envie de hurler «  Oui, mais OÙ? »
Comme dans la plupart des constructions de notre région, notre maison n'a pas de cave. Les murs sont en bois, et comme la maison du deuxième petit cochon, on a l'impression qu'au premier souffle, elle va s'effondrer comme un tas d'allumettes. 



Si tu es en voiture et que tu écoutes la radio, ou si tu es à la maison et que tu regardes la télé, le programme s'interrompt: un son strident le remplace, histoire de capter ton attention, et la voix d'un gars serein remplit la voiture ou la pièce, t'explique que tu as tout intérêt à ne pas te trouver là et que si tu y es quand même, tant pis pour toi, et te renseigne sur l'heure à laquelle le fléau va frapper et avec quelle force.
Le programme en cours à la télévision est définitivement ruiné et ton moral aussi. En général, Monsieur Météo reprend le flambeau et te fait vivre en direct l’avancée de l'orage, avec satellites dernier cri, radars à gogo, effet loupe HD, chasseurs de tornades passionnés et envoyés spéciaux mouillés.

La dernière fois que j'ai reçu un « tornado warning » sur mon téléphone, j'étais avec une copine texane. Je sais qu'elle n'a pas peur, ne me demande pas pourquoi, je viens de te le dire, elle est texane. Elle trouve très drôle ma façon de scruter et le ciel et la météo. 
Nos téléphones ont sonné en même temps, de la même façon sinistre. Quand j'ai vu le message, je n'ai pas eu le temps de me retourner qu'elle avait déjà passé la porte: « Non, mais tu ne vas pas prendre la route c'est dangereux! » lui ai-je dit. 
Bon, en vrai, elle est marrante et je préférais passer ces minutes éprouvantes avec elle, que de me retrouver seule avec mes enfants à faire semblant que tout va bien. Je fais très mal semblant quand je grelotte nerveusement et que j'ai des sueurs froides partout. Elle est partie chez elle en m'expliquant qu'elle devait mettre la voiture à l'abri au cas où il commencerait à grêler.
De toute façon, je ne sais pas comment on aurait fait pour s'empiler dans le placard ou dans la baignoire, à quatre gamins, deux adultes, un chat, la boite et un matelas sur la tête. 
Les sirènes du quartier se sont mises à hurler. On a allumé la télé pour que Monsieur Météo nous fasse un topo. Les nuages commençaient à tourner dangereusement et à prendre la forme d'entonnoir dans notre zone. Mon fils de treize ans faisait le mariole et ma fille de neuf ans commençait à pleurer silencieusement pendant que je me demandais à quel moment les faire entrer dans le placard. Le fameux placard. Le truc le plus petit et le plus ridicule que tu puisses imaginer. 

Le gars à la télé s’agitait en expliquant, «  Si vous habitez dans la zone descendez le plus bas possible dans votre maison, éloignez-vous des fenêtres, enfermez-vous dans une pièce borgne! »
Et moi, je prends ma boite à passeports sous le bras et je réalise que mon placard est un abri risible et dérisoire.
Notre maison est en forme de U. Il n'y a aucune pièce centrale, pas de cave, les murs sont ridiculement fins. On comprend brusquement pourquoi la Bible Belt et Tornado Alley sont juxtaposables au Texas. On n'a pas grand chose à faire pour notre protection à part prier!
Concrètement, on fait quoi pour notre protection? On espère. On espère que ça passera à côté, que ça frappera ailleurs, que ça tombera dans un champ…

Ce 26 Décembre, la température était étonnamment douce pour la première semaine de l'hiver, même au Texas: 26C. Le taux d'humidité était très élevé, trop. Depuis le matin, les téléphones affichaient un « Tornado watch » menaçant. Finalement, c'est en fin d’après-midi que la Nature s'est décidée à se déchaîner. 
Le gars de la météo était nerveux et répétait: « Trouvez un abri au plus vite! » Un bandeau se déroulait au bas de l'écran, répétant inlassablement « une tornade large et dangereuse approche ». On a assisté à tout ça en spectateur cette fois. La télé se coupant régulièrement pour diffuser le message d’alerte. On pensait aux copains qui habitent au Nord de Dallas, à tous ceux qui se trouvaient sur la trajectoire en espérant qu'ils aient mieux qu'un placard.
Il faisait nuit lorsque les tornades ont commencé à toucher terre, rendant leur décompte difficile. Le National Weather Service de Fort Worth a expliqué qu'il faudrait plusieurs jours d'analyses pour les dénombrer. Ils avancent un nombre de neuf tornades.
Au petit matin, les images de désolation étaient sur toutes les chaînes. Les réseaux sociaux relayaient déjà les appels aux dons. Tragédies et miracles se succédant aux infos. Les températures ont chuté de vingt degrés en l'espace de quelques heures. L'hiver est arrivé. La saison des tornades est finie. 
Pour cette année.


vendredi 11 décembre 2015

L'école américaine (partie 2)


Mon fils est dans la Band, j't'en ai déjà parlé peut-être?
Et bien ce matin, "la crème de la crème" - à prononcer avec un accent américain, s'il te plaît - de la Band, le Wind Ensemble, part en tournée dans les écoles élémentaires de notre petite ville: ça s'appelle l'Elementary Tour.
Les Beginners (les débutants) et la Symphonic Band ne font pas la tournée.
Pour l'occasion, mon grand a enfilé le Tuxedo -le smoking- qu'il lui a été remis et un bonnet de Noêl. J'te raconte ça genre super factuel, en vrai, j'étais hystérique: "Mon bébé en smokiiiing!" T'aurais dû voir sa tête en sortant de l'école avec son smoking à la main. Il souriait tellement large que je lui voyais la glotte.
Il est remonté à bloc, n'a même pas peur, parce que la Band lui a donné confiance en lui m'a-t-il dit dernièrement.
Et puis, je lui ai dit qu'il ressemble à James Bond. Sauf qu'on n'est pas trop habitué aux smokings dans la famille. Du coup, lorsqu'il a refusé de mettre les faux boutons noirs sur la chemise, j'ai pas moufté. C'était une erreur. Avec le noeud pap', ça l'aurait fait. Grave. Parce que, oui, mon fils a un noeud pap'...

La chorale de l'école se déplace avec eux et "perform" avant eux: ils sont superbes. Les garçons en smoking et les filles en longues robes noires en satin et velours. Tous ont des bonnets de Père Noêl. La première représentation a lieu dans le gymnase de l'école SG, les maîtres et les maîtresses sont assis et finissent leur café. Pas d'inquiétude, ici, tout se passe toujours comme sur des roulettes.
Les élèves de notre école élémentaire sont pourtant nombreux. Notre fille est parmi eux et a raconté à ses copines que son frère va jouer. Environ quatre classes par niveau, 25 élèves environ par classe, sachant qu'il y a 7 niveaux dans l'école, du kindergarden, les riquiquis de 5 ans, jusqu'au 6th grade, les 11 ans. Belle tribu donc.
Pas un cri, pas une punition. Au moindre chahut du groupe, qui est quand même sacrément excité tu t'en doutes, les maîtresses lèvent une main, les enfants savent alors qu'ils doivent en faire autant et le silence s'installe à nouveau. C'est magique! J'en suis émue. Je pense très fort à la maîtresse de la maternelle, en France, qui braillait comme un veau qu'on égorge en permanence, qui hurlait sur les parents dans les couloirs "MADAME POTIN, L'OEIL DE VOTRE FILS A ETE REMPLI DE PUS TOUTE LA JOURNEE, JE N'APPRECIE PAS QUE VOUS L'AYEZ DEPOSE A L'ECOLE CE MATIN EN ESPERANT QUE JE NE VERRAIS RIEN! (Véridique)
Et racontait ses propres infections, dépressions ou euphories du moment à tout le monde.
Il y a eu aussi la maîtresse qui a brûlé son sous-tif en Mai 68 et n'en a jamais racheté après, selon toute vraisemblance, et donc exhibait ses tétons aux enfants et aux parents, sous ses tee-shirts blancs, quand la température était clémente.
Ah, les petits plaisirs du réchauffement climatique se cachent parfois dans des endroits inattendus.

Donc, les enfants sont assis en tailleur sur le sol. Un des choristes s'approche du micro et explique qu'il est un ancien de l' école SG et demande aux autres anciens de lever la main. C'est du délire dans la salle, je t'ai déjà expliqué l'importance de l'appartenance à une école en Amérique.
La directrice est fière, son école est bien représentée dans le Wind Ensemble, l'élite de la Band.

La chorale peut maintenant entonner les morceaux "vedettes" des enfants:
Rudolf, the red nosed reindeer, Jingle Bells, etc...
Quand un des choristes apparaît, déguisé en Rudolf, c'est la folie et les petits tendent la main pour un "high five", c'est énorme! One Direction peut aller se recoiffer.
La Band prend la suite. Le Band director, qui a dit hier aux cuivres qu'ils jouaient "comme des pieds" -comme quoi c'est pas Bisounours Land non plus- fait un tabac quand il prend le micro et demande aux petits de reprendre les chansons en coeur ou de taper dans les mains. S'ensuivent Cowboys Christmas et Jingle Bell rock, Let it snow, etc...
Nous, on les a tous trouvé géniaux. A la fin, on a félicité le Band director, ses oreilles ne saignaient pas, c'est bon signe.
Après une standing ovation méritée et je suis impartiale, tu me connais, la sous-directrice prend le micro et demande aux petits de quitter la salle en rang d'oignons, dans le calme.
Et, devine quoi...
Ils le font. J'te jure, un truc de science-fiction. P'têt qu'ils les droguent ou les menacent. Je sais pas.
Pendant ce temps-là, la Band plie bagages. Chacun remballe son pupitre pliable, son instrument, range sa chaise et hop, en route vers une autre école.

Evidemment l'Homme a filmé. Evidemment je meurs d'envie de te montrer le talent de ces élèves, mais tu risques de t'ennuyer. Je sais bien comme il est difficile de s'intéresser aux passions des autres. Et je dois dire que je te trouve une grande patience: je suis tellement bavarde!
Mais je suis en admiration devant l'organisation et le professionnalisme et le dévouement de tout ce qui entoure l'éducation autour de moi. Je te le répète, je ne parle que de ce que je connais. Je suis épatée qu'un tailleur soit venu dans l'école de mon fils, ait pris les mesures de chacun des élèves concernés, ait fait des retouches, ait livré en temps et en heure.
Je suis étonnée de l'organisation immense que nécessite chaque match des écoles. La foule que cela implique, les Cheerleaders, les danseuses, la Band, les instruments, la chorégraphie et les airs mémorisés... Les chaperons, les coachs, les bus...
Chaque concert donné dans et en-dehors de l'école, le travail et la dévotion pour que tout ait l'air si naturel!
Et encore je ne t'ai pas parlé des "Pep rally", des élections de "Homecoming", de toutes ces manifestations qui émaillent l'année scolaire pour qu'elle soit plus agréable et aussi et surtout pour exciter le School Spirit.

Je ne t'ai pas expliqué que, oui, on paye tous les mois la trompette de notre fils, et que non, ce n'est pas donné. Tout comme nous payons pour ses cours particuliers proposés au sein de l'école. Mais, à chaque fois, on nous prévient qu'il y a un plan B pour les familles qui auraient du mal à joindre les deux bouts, "il y a toujours moyen de s'arranger".

On est en Amérique après tout, et ici, tout le monde à sa chance, s'il travaille.





mardi 1 décembre 2015

Paris, Texas


A une époque pas si lointaine où notre bonne vieille France n'était pas encore en état de guerre, je te racontais les charmes de l'école américaine. Et ses travers, un peu, aussi.
Je ne vais pas te parler politique, je ne vais pas te raconter ma peur, ma colère et ma panique en ce Vendredi 13, parce que tu as vécu les mêmes.
Je vais essayer de te raconter les réactions de ce côté-ci de l'Atlantique, du moins telles que je les ai vécues.

C'était une belle journée ensoleillée, où je discutais climatisation avec ma copine Texane.
Inutile de chercher à s'entendre, si il y a bien un sujet sur lequel on ne le pourra jamais, c'est celui-là.
Donc, j'expliquais à ma copine K. les méfaits de la clim sur ma carcasse à grand renfort de termes médicaux en -ite, lorsque j'ai reçu un coup de fil de mon neveu parisien qui m'expliquait que quelque chose de grave était arrivé.
C'est un peu comme le jour de l'assassinat de JFK ou 9/11, tout le monde sait exactement ce qu'il était en train de faire et comment il a appris le drame. L'instant d'avant, tu regardes trois gamines de neuf ans chanter à tue-tête, au milieu d'un salon ensoleillé, en te marrant sur la température glaciale à laquelle ta copine dort sous une couette en plein été, par 40C dehors. La seconde d'après, tu trembles en te demandant si la guerre est déclarée dans ton pays.

Les Texans ont en grande majorité eu la même réaction: ils nous ont dit avoir prié pour nous et notre famille. Si tu lis assidûment ce blog, tu sais que l'on n'est pas très porté sur la prière à la maison. Mais entendre mes enfants raconter que leurs copains d'école leur avaient demandé des nouvelles de leur famille et leur avaient dit qu'ils avaient prié pour eux nous a fait chaud au coeur.
Combien de fois nous a-t-on pris dans les bras, serré bien fort pour nous influer courage, réconfort ou force?
Combien de personnes nous ont assuré avoir prié pour notre famille?
Combien nous ont envoyé des messages paniqués le soir même?
Combien d'inconnus nous ont assuré qu'ils n'avaient jamais aimé Paris plus fort?

Dans l'esprit des copains d'ici, Paris c'est la France. Et pour une fois c'était pas faux. Même que toute la France était Paris ce soir-là.
P'têt même que l'Amérique était Paris ce soir-là.

J'ai parlé au crossing guard de l'école, un ancien Marines, il y a quelques mois, à mon retour de France en Septembre après l'attentat avorté dans un Thalys.
Il m'a dit :"Je suis très inquiet pour la France. Ça va mal et ce n'est que le début." J'ai souri et je me suis dit que j'avais trouvé plus pessimiste que moi. Il s'avère que finalement, j'avais trouvé moins naïf que moi.

A cet autre, qui m'a dit "Vous comprenez ce que l'Amérique a ressenti le 11 Septembre maintenant...", je n'ai rien répondu.
La tristesse et les drames ne connaissent pas de frontières. Demande à une maman ce qu'elle ressent quand elle apprend la disparition d'un enfant, Maddy au Portugal, un petit réfugié syrien noyé sur une plage... Les petits de l'école Sandy Hook?
Alors, les mamans, combien d'entre vous y pensent encore? Combien ont pleuré devant ces images insupportables? Combien d'entre vous pensent régulièrement aux attentats du 11 Septembre?
On n'a pas besoin de parler la même langue et d'être voisin pour s'imaginer la souffrance des autres et ressentir de la compassion.
Le 11 Septembre 2001, je parie que tu sais ce que tu faisais et que tu te souviens qui t'a annoncé le drame qui se jouait si loin de toi. Combien d'entre nous, qui ne connaissions personne à Manhattan, avons pleuré.
Alors, non, je n'ai pas attendu ce foutu Vendredi 13 à Paris pour comprendre l'Amérique du 11 Septembre.
Nous sommes tous des citoyens du Monde, qu'on le veuille ou pas. Un homme qui meurt, lâchement exécuté alors qu'il boit un verre en humant l'air du temps, qu'il soit à Beyrouth, à Paris, ou à New York est un mort de trop et mérite notre recueillement et notre respect, et non pas un dénombrement macabre des morts, pour savoir à qui revient le diplôme de la plus grande tristesse.

Au début de mon séjour au Texas, j'ai lu une interview d'une célébrité allemande à laquelle un journaliste demandait:"Vous soulevez des fonds pour les enfants de Haiti, vous ne donnez plus pour les enfants dans votre pays, l'Allemagne?"
Elle a répondu "Avant d'être allemande je suis citoyenne du monde, tous les enfants méritent notre attention, ils ont tous la même valeur".

Finalement, c'est notre nombre et notre volonté qui feront la différence. Les populations, où qu'elles soient, l'ont déjà compris. Encore faut-il qu'elles sachent l'exprimer sans haine.


mardi 3 novembre 2015

L'école américaine (1ère partie)

Il y a quelques semaines de ça, je suis tombée par hasard sur le blog d'une française expat en Amérique. Elle s'amusait de la présence de certains autocollants sur les voitures de certains parents...
Je ne t'en ai encore jamais parlé, mais en Amérique, quand un élève travaille bien, il mérite une récompense. Une sorte de tradition du bon point à la sauce américaine.

Mais commençons par le commencement.
Ma fille est rentrée à l'école au Texas au niveau CP, mon fils au niveau CM2.
Je ne te décrirai pas l'état de mes enfants le jour de leur première rentrée des classes en Amérique, c'est un peu comme tu te l'imagines, mais en pire.
Des larmes, des cris, des doigts qui s'agrippent et ne veulent plus te lâcher pour la première et un semblant de dignité désespérée pour le deuxième, alors même qu'il venait de faire une crise d'hyperventilation dans la voiture quelques minutes auparavant...
Mets-toi deux secondes dans la peau de mes deux lardons qui ne parlaient pas un mot d'anglais, ne connaissaient personne, ne comprenaient rien et savaient qu'ils allaient être là pour un bout de temps.

De retour dans la voiture, j'avais cette impression oppressante d'avoir trahi mes enfants en les menant à l'abattoir. Les conseils de mes copines bilingues me revenaient en mémoire alors que je pleurais dans les bras de mon mari, certaine que l'on venait de commettre une bourde impardonnable:
"Comment ta fille va-t-elle demander à aller aux toilettes? Et si elle est malade?"
ou bien, "t'inquiètes, mon frère a appris à lire en français tout seul, parce qu'il savait lire en anglais"

Sois rassuré, en quelques jours mon fils a développé son propre langage des signes pour blaguer avec ses copains de classe. Pour ma fille, ça a été plus compliqué: elle s'est réfugiée dans le mutisme absolu, le regard dans le vide, la main dans la main de sa maîtresse pendant des jours jusqu'à ce qu'elle se décide à poser la question que l'on avait répété à la maison: "Douillououantetoupléouizemi?" (tu veux jouer avec moi?) à des petites filles de sa classe, ce qui lui a valu son heure de gloire, puisqu'elle a un peu pris tout le monde par surprise: "Miss Denne, la nouvelle, elle parle!"

Miss Denne est la meilleure maîtresse du monde. La plus douce, la plus aimante et la plus patiente des maîtresses que j'ai rencontré dans ma vie. Je suis ravie de penser que toute sa vie ma fille parlera l'anglais de Miss Denne ( tu devines que ce n'est pas son nom, mais celui que ma fille lui a donné en tentant de répéter phonétiquement ce qu'elle entendait).
Elle a supporté le comportement fuyant de ma fille pendant des semaines. Elle ne s'est jamais lassée de son regard sauvage et de sa timidité obstinée. Une seule fois, elle m'a glissé, "pourriez-vous lui demander de chuchoter plus fort?"
Elle a aussi du supporter mon langage, quelquefois gênant. J'ai un peu tendance à perdre mes moyens invariablement quand je m'adresse à quelqu'un de l'école. Des séquelles sûrement... Et le jour où ma fille a fait pipi dans sa culotte, elle ignorait comment demander le chemin des toilettes, j'ai répété à plusieurs reprises "pisser" alors même que la maîtresse avait utilisé les termes les plus délicats à tel point que je n'ai compris l'incident qu'en constatant que la petite portait un pantalon inconnu.

Comme tu le vois, le chemin s'annonçait long et parsemé d'obstacles. Mais le Texas, puisque je parle ici de mon expérience, a tout prévu. Au bout de quelques jours, une nouvelle maîtresse est apparue dans nos vies. Elle assurait une heure de cours par jour aux enfants qui comme les nôtres ne parlent anglais qu'en deuxième langue. Elle connaissait quelques rudiments de français et s'est assurée qu'à leur tour, nos enfants soient capables de baragouiner dans la langue d'Obama.

C'est alors que le problème de la récompense s'est présenté...
Une amie française, qui habitait dans une ville voisine, avait effleuré le sujet en m'expliquant qu'elle acceptait mal que les élèves reçoivent une sucrerie à chaque fois qu'ils se comportaient bien en classe. Elle en avait parlé à la maîtresse de son fils en lui proposant de donner plutôt des "goodies" ( que je traduirais par "petites merdes" dont les enfants raffolent, genre bracelets à messages, stylos rigolos, crayons clignotants...) qu'elle se proposait même d'acheter. La maîtresse lui avait répliqué de ne pas se donner cette peine, puisque dorénavant son fils ne recevrait plus de sucreries.

Où est le bon vieux temps des bons points qui ouvraient la voie aux belles images?
Que ce soit clair: les gamins de neuf ans ayant tous un Iphone dans leur sac à dos, essaie un peu de leur refourguer un bon point. Je crains que tu ne te retrouves avec ton bon point coincé dans la trachée très rapidement.

Cette année, le problème des sucreries s'est finalement manifesté pour la première fois.
J'ai recommandé à ma fille d'éviter de manger une barre chocolatée à chaque fin de journée, sous prétexte qu'elle est volontaire pour être "room cleaner" (nettoyeuse de classe) en lui expliquant qu'avec un Mars par jour, elle risquait d'y laisser sa santé et sa silhouette...
Par contre, mon fils trouve tout à fait normal de boulotter un Kit Kat à chaque fois qu'il assure en sciences, impossible de l'en faire démordre.

J'en arrive maintenant à mon affaire d'autocollants que tu as sûrement oublié parce que je suis vraiment trop bavarde.
Les parents affichent fièrement sur leur voiture et leur maison les couleurs de l'Université de leur enfant, de leur Band, de leur équipe de foot, ou encore dans quelle branche de l'armée se trouve le papa, quand ce n'est pas leur couleur politique.
Je ne peux alors m'empêcher de penser "Tea Party, oh! sérieux?", ou "Dragons? Ah ah! Trinity vous a broyé au match de la semaine dernière", "Yes, you can? Pas fréquent dans ma banlieue"...

Et puis des fois, tu vois des petits autocollants sur les voitures aux couleurs d'une école, proclamant bien fort que la conductrice de cette voiture est la fière maman d'un élève honoré pour ses bonnes notes. J'en ai reçu un l'année dernière. En cinq minutes il était collé.
La semaine suivante, je tombais donc par hasard sur cet article dans lequel la maman expliquait que c'était de la fierté mal placée que de coller ces autocollants. Perso, quand je pense à ce que mes enfants ont traversé à leur début, si je pouvais avoir un autocollant aussi gros que la voiture, je le mettrais.  Non seulement, ils ne font pas grossir, sont inoffensifs (pas de déclaration politique exhibitionniste ici), mais en plus, ils montrent au monde- ok, aux gens du coin- que je suis une "proud mama" (une maman fière) au même titre que la mère juive de la blague qui crie sans complexe: "Mon fils avocat se noie, mon fils avocat se noie!"

Hier, mon fils, qui ne dort plus depuis trois nuits parce qu'il a une audition pour la Band, -j't'ai dit qu'il est dans la Band?- a été convoqué dans le bureau du principal en urgence. Le long du chemin, il réfléchissait à ce qu'il avait bien pu faire, surtout que les copains lui souhaitaient bon courage d'un air navré. Peut-être accusé de "conspiracy" envers la prof d'espagnol?
Quand il est entré dans le bureau, le principal lui a demandé de fermer la porte, pour éviter les témoins gênants probablement, s'est-il dit dans sa frayeur.
Finalement, il s'est vu décerné un certificat de "Student of the Month" (élève du mois). Il va être encadré et installé avec soin à côté de son diplôme remis il y a deux ans pour "Outstanding Academic Excellence" signé par Obama, s'il te plaît.
Et même si ils sont des centaines à travers les Etats Unis à avoir la même copie de sa signature, on n'en est pas moins fiers.
OBAMA, les gars!
A sa gauche, trône fièrement le diplôme de la Persévérance, remis à ma grande timide, qui a fini par parler anglais mieux que quiconque dans cette maison. Impossible de deviner qu'elle n'est pas américaine quand on l'écoute parler m'a dit une de mes amies!

Fierté mal placée? Politique de la carotte?
J'ai surtout l'impression que l'Amérique veut prouver à ses enfants qu'ils comptent, que les efforts ne sont pas vains au pays de l'American Dream, et que ce grand pays sait quoi faire pour unir ses 50 Etats et ses 320 000 000 d'habitants derrière un seul drapeau.

Souviens-toi toujours...
Je crois en toi.
Je te fais confiance.
On t'écoute.
On se préoccupe de toi.
Tu es important.
Tu réussiras!
Avec mon amour,
Miss Denne