mardi 3 novembre 2015

L'école américaine (1ère partie)

Il y a quelques semaines de ça, je suis tombée par hasard sur le blog d'une française expat en Amérique. Elle s'amusait de la présence de certains autocollants sur les voitures de certains parents...
Je ne t'en ai encore jamais parlé, mais en Amérique, quand un élève travaille bien, il mérite une récompense. Une sorte de tradition du bon point à la sauce américaine.

Mais commençons par le commencement.
Ma fille est rentrée à l'école au Texas au niveau CP, mon fils au niveau CM2.
Je ne te décrirai pas l'état de mes enfants le jour de leur première rentrée des classes en Amérique, c'est un peu comme tu te l'imagines, mais en pire.
Des larmes, des cris, des doigts qui s'agrippent et ne veulent plus te lâcher pour la première et un semblant de dignité désespérée pour le deuxième, alors même qu'il venait de faire une crise d'hyperventilation dans la voiture quelques minutes auparavant...
Mets-toi deux secondes dans la peau de mes deux lardons qui ne parlaient pas un mot d'anglais, ne connaissaient personne, ne comprenaient rien et savaient qu'ils allaient être là pour un bout de temps.

De retour dans la voiture, j'avais cette impression oppressante d'avoir trahi mes enfants en les menant à l'abattoir. Les conseils de mes copines bilingues me revenaient en mémoire alors que je pleurais dans les bras de mon mari, certaine que l'on venait de commettre une bourde impardonnable:
"Comment ta fille va-t-elle demander à aller aux toilettes? Et si elle est malade?"
ou bien, "t'inquiètes, mon frère a appris à lire en français tout seul, parce qu'il savait lire en anglais"

Sois rassuré, en quelques jours mon fils a développé son propre langage des signes pour blaguer avec ses copains de classe. Pour ma fille, ça a été plus compliqué: elle s'est réfugiée dans le mutisme absolu, le regard dans le vide, la main dans la main de sa maîtresse pendant des jours jusqu'à ce qu'elle se décide à poser la question que l'on avait répété à la maison: "Douillououantetoupléouizemi?" (tu veux jouer avec moi?) à des petites filles de sa classe, ce qui lui a valu son heure de gloire, puisqu'elle a un peu pris tout le monde par surprise: "Miss Denne, la nouvelle, elle parle!"

Miss Denne est la meilleure maîtresse du monde. La plus douce, la plus aimante et la plus patiente des maîtresses que j'ai rencontré dans ma vie. Je suis ravie de penser que toute sa vie ma fille parlera l'anglais de Miss Denne ( tu devines que ce n'est pas son nom, mais celui que ma fille lui a donné en tentant de répéter phonétiquement ce qu'elle entendait).
Elle a supporté le comportement fuyant de ma fille pendant des semaines. Elle ne s'est jamais lassée de son regard sauvage et de sa timidité obstinée. Une seule fois, elle m'a glissé, "pourriez-vous lui demander de chuchoter plus fort?"
Elle a aussi du supporter mon langage, quelquefois gênant. J'ai un peu tendance à perdre mes moyens invariablement quand je m'adresse à quelqu'un de l'école. Des séquelles sûrement... Et le jour où ma fille a fait pipi dans sa culotte, elle ignorait comment demander le chemin des toilettes, j'ai répété à plusieurs reprises "pisser" alors même que la maîtresse avait utilisé les termes les plus délicats à tel point que je n'ai compris l'incident qu'en constatant que la petite portait un pantalon inconnu.

Comme tu le vois, le chemin s'annonçait long et parsemé d'obstacles. Mais le Texas, puisque je parle ici de mon expérience, a tout prévu. Au bout de quelques jours, une nouvelle maîtresse est apparue dans nos vies. Elle assurait une heure de cours par jour aux enfants qui comme les nôtres ne parlent anglais qu'en deuxième langue. Elle connaissait quelques rudiments de français et s'est assurée qu'à leur tour, nos enfants soient capables de baragouiner dans la langue d'Obama.

C'est alors que le problème de la récompense s'est présenté...
Une amie française, qui habitait dans une ville voisine, avait effleuré le sujet en m'expliquant qu'elle acceptait mal que les élèves reçoivent une sucrerie à chaque fois qu'ils se comportaient bien en classe. Elle en avait parlé à la maîtresse de son fils en lui proposant de donner plutôt des "goodies" ( que je traduirais par "petites merdes" dont les enfants raffolent, genre bracelets à messages, stylos rigolos, crayons clignotants...) qu'elle se proposait même d'acheter. La maîtresse lui avait répliqué de ne pas se donner cette peine, puisque dorénavant son fils ne recevrait plus de sucreries.

Où est le bon vieux temps des bons points qui ouvraient la voie aux belles images?
Que ce soit clair: les gamins de neuf ans ayant tous un Iphone dans leur sac à dos, essaie un peu de leur refourguer un bon point. Je crains que tu ne te retrouves avec ton bon point coincé dans la trachée très rapidement.

Cette année, le problème des sucreries s'est finalement manifesté pour la première fois.
J'ai recommandé à ma fille d'éviter de manger une barre chocolatée à chaque fin de journée, sous prétexte qu'elle est volontaire pour être "room cleaner" (nettoyeuse de classe) en lui expliquant qu'avec un Mars par jour, elle risquait d'y laisser sa santé et sa silhouette...
Par contre, mon fils trouve tout à fait normal de boulotter un Kit Kat à chaque fois qu'il assure en sciences, impossible de l'en faire démordre.

J'en arrive maintenant à mon affaire d'autocollants que tu as sûrement oublié parce que je suis vraiment trop bavarde.
Les parents affichent fièrement sur leur voiture et leur maison les couleurs de l'Université de leur enfant, de leur Band, de leur équipe de foot, ou encore dans quelle branche de l'armée se trouve le papa, quand ce n'est pas leur couleur politique.
Je ne peux alors m'empêcher de penser "Tea Party, oh! sérieux?", ou "Dragons? Ah ah! Trinity vous a broyé au match de la semaine dernière", "Yes, you can? Pas fréquent dans ma banlieue"...

Et puis des fois, tu vois des petits autocollants sur les voitures aux couleurs d'une école, proclamant bien fort que la conductrice de cette voiture est la fière maman d'un élève honoré pour ses bonnes notes. J'en ai reçu un l'année dernière. En cinq minutes il était collé.
La semaine suivante, je tombais donc par hasard sur cet article dans lequel la maman expliquait que c'était de la fierté mal placée que de coller ces autocollants. Perso, quand je pense à ce que mes enfants ont traversé à leur début, si je pouvais avoir un autocollant aussi gros que la voiture, je le mettrais.  Non seulement, ils ne font pas grossir, sont inoffensifs (pas de déclaration politique exhibitionniste ici), mais en plus, ils montrent au monde- ok, aux gens du coin- que je suis une "proud mama" (une maman fière) au même titre que la mère juive de la blague qui crie sans complexe: "Mon fils avocat se noie, mon fils avocat se noie!"

Hier, mon fils, qui ne dort plus depuis trois nuits parce qu'il a une audition pour la Band, -j't'ai dit qu'il est dans la Band?- a été convoqué dans le bureau du principal en urgence. Le long du chemin, il réfléchissait à ce qu'il avait bien pu faire, surtout que les copains lui souhaitaient bon courage d'un air navré. Peut-être accusé de "conspiracy" envers la prof d'espagnol?
Quand il est entré dans le bureau, le principal lui a demandé de fermer la porte, pour éviter les témoins gênants probablement, s'est-il dit dans sa frayeur.
Finalement, il s'est vu décerné un certificat de "Student of the Month" (élève du mois). Il va être encadré et installé avec soin à côté de son diplôme remis il y a deux ans pour "Outstanding Academic Excellence" signé par Obama, s'il te plaît.
Et même si ils sont des centaines à travers les Etats Unis à avoir la même copie de sa signature, on n'en est pas moins fiers.
OBAMA, les gars!
A sa gauche, trône fièrement le diplôme de la Persévérance, remis à ma grande timide, qui a fini par parler anglais mieux que quiconque dans cette maison. Impossible de deviner qu'elle n'est pas américaine quand on l'écoute parler m'a dit une de mes amies!

Fierté mal placée? Politique de la carotte?
J'ai surtout l'impression que l'Amérique veut prouver à ses enfants qu'ils comptent, que les efforts ne sont pas vains au pays de l'American Dream, et que ce grand pays sait quoi faire pour unir ses 50 Etats et ses 320 000 000 d'habitants derrière un seul drapeau.

Souviens-toi toujours...
Je crois en toi.
Je te fais confiance.
On t'écoute.
On se préoccupe de toi.
Tu es important.
Tu réussiras!
Avec mon amour,
Miss Denne

12 commentaires:

  1. Ecris nous un bouquin!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Ca marchera c'est une cerrtitude!

    RépondreSupprimer
  2. c'est un bel article, ça sent le vécu chez nous aussi ! j'ai aussi pleuré beaucoup ...... et aujourd'hui je me vexe quand mes enfants me corrigent en anglais !! Odile

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est vrai! ils corrigent OU racontent des blagues auxquelles je ne comprends toujours rien! Merci pour ton commentaire!

      Supprimer
  3. ah la la la première journée d'école, on s'en souviendra sans doute toujours .....les voir monter dans les fameux bus jaunes, ça fait un sacré effet. Moi aussi j'avais mal au ventre en les imaginant perdus, sans pouvoir communiquer. Mais finalement l'accueil a été extraordinaire, et même si tout n'a pas été rose tous les jours, on garde un super souvenir de cette période et surtout, surtout, depuis notre retour en France, on regrette les 'récompenses, félicitations et autres encouragements tellement typiques du système américain (et nous, on a eu de la veine, ils ne recevaient pas de sucreries mais des stickers ou des goodies ;), donc aucune raison de nous plaindre)
    Voir ses enfants choisis pour être le student of the month et même dans lasélection finale, c'est clair que ça doppe notre ego, mais surtout ça montre combien tous les efforts faits pour en arriver là ont été appréciés !

    Je sais que pour pas mal de Français ce genre de choses dérange parce que "'on ne travaille pas pour la récompense, on travaille pour soi,blablabla..."'mais moi je trouve que féliciter les gens (et à fortiori les enfants) lorsqu'ils font ""un good job"' c'est vraiment vraiment positif et motivant et contrairement à ce que certains imaginent, cela booste encore plus pour faire mieux ou en tout cas pour continuer dans cette voie (en tout cas pour mes enfants) ...

    So, good job pour cet article !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ton commentaire qui m'a fait très plaisir! On garde un souvenir ému de ces débuts difficiles mais l'accueil extraordinaire comme tu le dis, nous a bien aidé.

      Supprimer
  4. Personnellement, je trouve ça assez sympa ce système de récompenses, même si il y a malheureusement le revers de la médaille quand à l'université des seniors, incapables de calculer l'aire d'un cercle, s'étonnent de ne pas avoir des A et des "great jobs"...Il faudrait probablement un système entre les deux qui encourage et valorise les progrès sans pour autant laisser penser que tout est "great" !
    Sinon, tes enfants ont bien mérité leurs autocollants : je n'arrive même pas à imaginer à quel point les débuts ont du être difficiles et effrayants, c'est génial d'avoir réussi à surmonter tout ça aussi bien !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as raison, c'est bizarre de se voir proposer dans les entreprises des seances ou l'on se tapote sa propre epaule pour se feliciter...

      Supprimer
  5. Hi, nous sommes arrivés en Angleterre l'année dernière et comme toi j ai eul impression d emmener mes enfants en enfer! Aujourd'hui l aînée parle comme une anglaise et les 2 autres parlent très bien aussi.
    Le système est similaire ici mais les recompenses se font sous forme de stickers, donc aucun danger pour la santé! C est très motivant pour les enfants. Comme on est au pays d Harry Potter, les enfants récoltent aussi des House points, dont ils sont très fiers egalement.
    Je sais que le jour où nous rentrerons en France, ils l auront mauvaise mes doudous parrce que bien se comporter et travailler, ce n est pas valorisé mais juste normal.
    J ai découvert ton blog il y a quelques temps et j aime beaucoup ta façon d'écrire.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup pour ton commentaire et pour ton compliment! Mes enfants adoreraient les House points aussi. Je trouve l'idée geniale!

      Supprimer
  6. Je te lis pour la première fois... et j ai choisi ce post... jamais,j n aurai du! Je suis dans ma voiture, en attendant l ouverture de l école et maintenant, je pleure. ... pfff.... tu m as fait revivre cette première journée horrible pour tout le monde! ! Heureusement, aujourd'hui, c est du passé. ... mais oui, quelle fierté! ! Fierté de les voir se débrouiller dans ce difficile monde de l expatriation à ces débuts, fierté de les entendre discuter en anglais, fierté de les voir grandir si forts...
    Juste un mot pour finir : moi, j ai pas eu d autocollant? ?!?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "Les voir grandir si forts", j'aime bien ta formule!
      Comment ça, t'as pas d'autocollants? Scandaleux!

      Supprimer