mercredi 30 décembre 2015

Tornado season (2ème partie)


Vue d'une rue au Texas, sous un ciel de plomb


Quand on a su que notre expat était acceptée au Texas, j’ai pensé à deux trucs vraiment effrayants qui pouvaient hypothétiquement me gâcher la fête: les serpents et les tornades. Dans le désordre. Les deux ont la fâcheuse tendance à frapper par surprise. Et dans les deux cas, quand ils apparaissent, on sait qu’on  n’a pas beaucoup de temps. Le mieux, c’est de s’y préparer. Comme répète l’Homme qui aime les belles phrases « espérer le meilleur, se préparer au pire».
Le seul bémol dans l’histoire c’est que pour les tornades, ça ne s’applique pas vraiment.
Une copine française s’est exclamée récemment: «Tu vas être Wonder Woman quand tu vas rentrer! » 
J’y ai réfléchi et malheureusement, je ne crois pas que côtoyer quelques mois par an le risque qu'une tornade se forme au-dessus de ma tête, m'ait rendu plus courageuse. Finalement, on dit toujours que le propre de l'homme c'est de savoir s’adapter. Clairement, les Texans se sont adaptés à leur environnement hostile. En d'autres termes, ils font avec. J'essaye d'en faire autant.

A la différence d'un ouragan, il est difficile de prévenir avec efficacité les populations de l'imminence d'une tornade. Sur les applications météo des téléphones, on sait quelques heures à l’avance si notre région est susceptible d'être traversée par des orages. Le National Weather Service -la météo nationale- émet alors un bulletin d'alerte. Il peut être de deux sortes pour les tornades. Je me suis habituée au premier mais le deuxième me fait toujours dresser les cheveux sur la tête:

Tornado watch: un bulletin est émis si une tornade est possible dans la région ciblée par l'alerte. En général, la bonne nouvelle est livrée avec la liste des « comtés » visés, que je compulse nerveusement, en espérant ne pas trouver le mien. 

Tornado warning: autant te dire que celui-là sent mauvais. 
Le bulletin est émis quand la tornade est imminente. Le téléphone déclenche une alarme et te livre le message d'alerte. 
Généralement, il est accompagné d'une note d'humour du genre « Trouvez un abri au plus vite ». Même chez moi entre mes quatre murs, j'ai envie de hurler «  Oui, mais OÙ? »
Comme dans la plupart des constructions de notre région, notre maison n'a pas de cave. Les murs sont en bois, et comme la maison du deuxième petit cochon, on a l'impression qu'au premier souffle, elle va s'effondrer comme un tas d'allumettes. 



Si tu es en voiture et que tu écoutes la radio, ou si tu es à la maison et que tu regardes la télé, le programme s'interrompt: un son strident le remplace, histoire de capter ton attention, et la voix d'un gars serein remplit la voiture ou la pièce, t'explique que tu as tout intérêt à ne pas te trouver là et que si tu y es quand même, tant pis pour toi, et te renseigne sur l'heure à laquelle le fléau va frapper et avec quelle force.
Le programme en cours à la télévision est définitivement ruiné et ton moral aussi. En général, Monsieur Météo reprend le flambeau et te fait vivre en direct l’avancée de l'orage, avec satellites dernier cri, radars à gogo, effet loupe HD, chasseurs de tornades passionnés et envoyés spéciaux mouillés.

La dernière fois que j'ai reçu un « tornado warning » sur mon téléphone, j'étais avec une copine texane. Je sais qu'elle n'a pas peur, ne me demande pas pourquoi, je viens de te le dire, elle est texane. Elle trouve très drôle ma façon de scruter et le ciel et la météo. 
Nos téléphones ont sonné en même temps, de la même façon sinistre. Quand j'ai vu le message, je n'ai pas eu le temps de me retourner qu'elle avait déjà passé la porte: « Non, mais tu ne vas pas prendre la route c'est dangereux! » lui ai-je dit. 
Bon, en vrai, elle est marrante et je préférais passer ces minutes éprouvantes avec elle, que de me retrouver seule avec mes enfants à faire semblant que tout va bien. Je fais très mal semblant quand je grelotte nerveusement et que j'ai des sueurs froides partout. Elle est partie chez elle en m'expliquant qu'elle devait mettre la voiture à l'abri au cas où il commencerait à grêler.
De toute façon, je ne sais pas comment on aurait fait pour s'empiler dans le placard ou dans la baignoire, à quatre gamins, deux adultes, un chat, la boite et un matelas sur la tête. 
Les sirènes du quartier se sont mises à hurler. On a allumé la télé pour que Monsieur Météo nous fasse un topo. Les nuages commençaient à tourner dangereusement et à prendre la forme d'entonnoir dans notre zone. Mon fils de treize ans faisait le mariole et ma fille de neuf ans commençait à pleurer silencieusement pendant que je me demandais à quel moment les faire entrer dans le placard. Le fameux placard. Le truc le plus petit et le plus ridicule que tu puisses imaginer. 

Le gars à la télé s’agitait en expliquant, «  Si vous habitez dans la zone descendez le plus bas possible dans votre maison, éloignez-vous des fenêtres, enfermez-vous dans une pièce borgne! »
Et moi, je prends ma boite à passeports sous le bras et je réalise que mon placard est un abri risible et dérisoire.
Notre maison est en forme de U. Il n'y a aucune pièce centrale, pas de cave, les murs sont ridiculement fins. On comprend brusquement pourquoi la Bible Belt et Tornado Alley sont juxtaposables au Texas. On n'a pas grand chose à faire pour notre protection à part prier!
Concrètement, on fait quoi pour notre protection? On espère. On espère que ça passera à côté, que ça frappera ailleurs, que ça tombera dans un champ…

Ce 26 Décembre, la température était étonnamment douce pour la première semaine de l'hiver, même au Texas: 26C. Le taux d'humidité était très élevé, trop. Depuis le matin, les téléphones affichaient un « Tornado watch » menaçant. Finalement, c'est en fin d’après-midi que la Nature s'est décidée à se déchaîner. 
Le gars de la météo était nerveux et répétait: « Trouvez un abri au plus vite! » Un bandeau se déroulait au bas de l'écran, répétant inlassablement « une tornade large et dangereuse approche ». On a assisté à tout ça en spectateur cette fois. La télé se coupant régulièrement pour diffuser le message d’alerte. On pensait aux copains qui habitent au Nord de Dallas, à tous ceux qui se trouvaient sur la trajectoire en espérant qu'ils aient mieux qu'un placard.
Il faisait nuit lorsque les tornades ont commencé à toucher terre, rendant leur décompte difficile. Le National Weather Service de Fort Worth a expliqué qu'il faudrait plusieurs jours d'analyses pour les dénombrer. Ils avancent un nombre de neuf tornades.
Au petit matin, les images de désolation étaient sur toutes les chaînes. Les réseaux sociaux relayaient déjà les appels aux dons. Tragédies et miracles se succédant aux infos. Les températures ont chuté de vingt degrés en l'espace de quelques heures. L'hiver est arrivé. La saison des tornades est finie. 
Pour cette année.


vendredi 11 décembre 2015

L'école américaine (partie 2)


Mon fils est dans la Band, j't'en ai déjà parlé peut-être?
Et bien ce matin, "la crème de la crème" - à prononcer avec un accent américain, s'il te plaît - de la Band, le Wind Ensemble, part en tournée dans les écoles élémentaires de notre petite ville: ça s'appelle l'Elementary Tour.
Les Beginners (les débutants) et la Symphonic Band ne font pas la tournée.
Pour l'occasion, mon grand a enfilé le Tuxedo -le smoking- qu'il lui a été remis et un bonnet de Noêl. J'te raconte ça genre super factuel, en vrai, j'étais hystérique: "Mon bébé en smokiiiing!" T'aurais dû voir sa tête en sortant de l'école avec son smoking à la main. Il souriait tellement large que je lui voyais la glotte.
Il est remonté à bloc, n'a même pas peur, parce que la Band lui a donné confiance en lui m'a-t-il dit dernièrement.
Et puis, je lui ai dit qu'il ressemble à James Bond. Sauf qu'on n'est pas trop habitué aux smokings dans la famille. Du coup, lorsqu'il a refusé de mettre les faux boutons noirs sur la chemise, j'ai pas moufté. C'était une erreur. Avec le noeud pap', ça l'aurait fait. Grave. Parce que, oui, mon fils a un noeud pap'...

La chorale de l'école se déplace avec eux et "perform" avant eux: ils sont superbes. Les garçons en smoking et les filles en longues robes noires en satin et velours. Tous ont des bonnets de Père Noêl. La première représentation a lieu dans le gymnase de l'école SG, les maîtres et les maîtresses sont assis et finissent leur café. Pas d'inquiétude, ici, tout se passe toujours comme sur des roulettes.
Les élèves de notre école élémentaire sont pourtant nombreux. Notre fille est parmi eux et a raconté à ses copines que son frère va jouer. Environ quatre classes par niveau, 25 élèves environ par classe, sachant qu'il y a 7 niveaux dans l'école, du kindergarden, les riquiquis de 5 ans, jusqu'au 6th grade, les 11 ans. Belle tribu donc.
Pas un cri, pas une punition. Au moindre chahut du groupe, qui est quand même sacrément excité tu t'en doutes, les maîtresses lèvent une main, les enfants savent alors qu'ils doivent en faire autant et le silence s'installe à nouveau. C'est magique! J'en suis émue. Je pense très fort à la maîtresse de la maternelle, en France, qui braillait comme un veau qu'on égorge en permanence, qui hurlait sur les parents dans les couloirs "MADAME POTIN, L'OEIL DE VOTRE FILS A ETE REMPLI DE PUS TOUTE LA JOURNEE, JE N'APPRECIE PAS QUE VOUS L'AYEZ DEPOSE A L'ECOLE CE MATIN EN ESPERANT QUE JE NE VERRAIS RIEN! (Véridique)
Et racontait ses propres infections, dépressions ou euphories du moment à tout le monde.
Il y a eu aussi la maîtresse qui a brûlé son sous-tif en Mai 68 et n'en a jamais racheté après, selon toute vraisemblance, et donc exhibait ses tétons aux enfants et aux parents, sous ses tee-shirts blancs, quand la température était clémente.
Ah, les petits plaisirs du réchauffement climatique se cachent parfois dans des endroits inattendus.

Donc, les enfants sont assis en tailleur sur le sol. Un des choristes s'approche du micro et explique qu'il est un ancien de l' école SG et demande aux autres anciens de lever la main. C'est du délire dans la salle, je t'ai déjà expliqué l'importance de l'appartenance à une école en Amérique.
La directrice est fière, son école est bien représentée dans le Wind Ensemble, l'élite de la Band.

La chorale peut maintenant entonner les morceaux "vedettes" des enfants:
Rudolf, the red nosed reindeer, Jingle Bells, etc...
Quand un des choristes apparaît, déguisé en Rudolf, c'est la folie et les petits tendent la main pour un "high five", c'est énorme! One Direction peut aller se recoiffer.
La Band prend la suite. Le Band director, qui a dit hier aux cuivres qu'ils jouaient "comme des pieds" -comme quoi c'est pas Bisounours Land non plus- fait un tabac quand il prend le micro et demande aux petits de reprendre les chansons en coeur ou de taper dans les mains. S'ensuivent Cowboys Christmas et Jingle Bell rock, Let it snow, etc...
Nous, on les a tous trouvé géniaux. A la fin, on a félicité le Band director, ses oreilles ne saignaient pas, c'est bon signe.
Après une standing ovation méritée et je suis impartiale, tu me connais, la sous-directrice prend le micro et demande aux petits de quitter la salle en rang d'oignons, dans le calme.
Et, devine quoi...
Ils le font. J'te jure, un truc de science-fiction. P'têt qu'ils les droguent ou les menacent. Je sais pas.
Pendant ce temps-là, la Band plie bagages. Chacun remballe son pupitre pliable, son instrument, range sa chaise et hop, en route vers une autre école.

Evidemment l'Homme a filmé. Evidemment je meurs d'envie de te montrer le talent de ces élèves, mais tu risques de t'ennuyer. Je sais bien comme il est difficile de s'intéresser aux passions des autres. Et je dois dire que je te trouve une grande patience: je suis tellement bavarde!
Mais je suis en admiration devant l'organisation et le professionnalisme et le dévouement de tout ce qui entoure l'éducation autour de moi. Je te le répète, je ne parle que de ce que je connais. Je suis épatée qu'un tailleur soit venu dans l'école de mon fils, ait pris les mesures de chacun des élèves concernés, ait fait des retouches, ait livré en temps et en heure.
Je suis étonnée de l'organisation immense que nécessite chaque match des écoles. La foule que cela implique, les Cheerleaders, les danseuses, la Band, les instruments, la chorégraphie et les airs mémorisés... Les chaperons, les coachs, les bus...
Chaque concert donné dans et en-dehors de l'école, le travail et la dévotion pour que tout ait l'air si naturel!
Et encore je ne t'ai pas parlé des "Pep rally", des élections de "Homecoming", de toutes ces manifestations qui émaillent l'année scolaire pour qu'elle soit plus agréable et aussi et surtout pour exciter le School Spirit.

Je ne t'ai pas expliqué que, oui, on paye tous les mois la trompette de notre fils, et que non, ce n'est pas donné. Tout comme nous payons pour ses cours particuliers proposés au sein de l'école. Mais, à chaque fois, on nous prévient qu'il y a un plan B pour les familles qui auraient du mal à joindre les deux bouts, "il y a toujours moyen de s'arranger".

On est en Amérique après tout, et ici, tout le monde à sa chance, s'il travaille.





mardi 1 décembre 2015

Paris, Texas


A une époque pas si lointaine où notre bonne vieille France n'était pas encore en état de guerre, je te racontais les charmes de l'école américaine. Et ses travers, un peu, aussi.
Je ne vais pas te parler politique, je ne vais pas te raconter ma peur, ma colère et ma panique en ce Vendredi 13, parce que tu as vécu les mêmes.
Je vais essayer de te raconter les réactions de ce côté-ci de l'Atlantique, du moins telles que je les ai vécues.

C'était une belle journée ensoleillée, où je discutais climatisation avec ma copine Texane.
Inutile de chercher à s'entendre, si il y a bien un sujet sur lequel on ne le pourra jamais, c'est celui-là.
Donc, j'expliquais à ma copine K. les méfaits de la clim sur ma carcasse à grand renfort de termes médicaux en -ite, lorsque j'ai reçu un coup de fil de mon neveu parisien qui m'expliquait que quelque chose de grave était arrivé.
C'est un peu comme le jour de l'assassinat de JFK ou 9/11, tout le monde sait exactement ce qu'il était en train de faire et comment il a appris le drame. L'instant d'avant, tu regardes trois gamines de neuf ans chanter à tue-tête, au milieu d'un salon ensoleillé, en te marrant sur la température glaciale à laquelle ta copine dort sous une couette en plein été, par 40C dehors. La seconde d'après, tu trembles en te demandant si la guerre est déclarée dans ton pays.

Les Texans ont en grande majorité eu la même réaction: ils nous ont dit avoir prié pour nous et notre famille. Si tu lis assidûment ce blog, tu sais que l'on n'est pas très porté sur la prière à la maison. Mais entendre mes enfants raconter que leurs copains d'école leur avaient demandé des nouvelles de leur famille et leur avaient dit qu'ils avaient prié pour eux nous a fait chaud au coeur.
Combien de fois nous a-t-on pris dans les bras, serré bien fort pour nous influer courage, réconfort ou force?
Combien de personnes nous ont assuré avoir prié pour notre famille?
Combien nous ont envoyé des messages paniqués le soir même?
Combien d'inconnus nous ont assuré qu'ils n'avaient jamais aimé Paris plus fort?

Dans l'esprit des copains d'ici, Paris c'est la France. Et pour une fois c'était pas faux. Même que toute la France était Paris ce soir-là.
P'têt même que l'Amérique était Paris ce soir-là.

J'ai parlé au crossing guard de l'école, un ancien Marines, il y a quelques mois, à mon retour de France en Septembre après l'attentat avorté dans un Thalys.
Il m'a dit :"Je suis très inquiet pour la France. Ça va mal et ce n'est que le début." J'ai souri et je me suis dit que j'avais trouvé plus pessimiste que moi. Il s'avère que finalement, j'avais trouvé moins naïf que moi.

A cet autre, qui m'a dit "Vous comprenez ce que l'Amérique a ressenti le 11 Septembre maintenant...", je n'ai rien répondu.
La tristesse et les drames ne connaissent pas de frontières. Demande à une maman ce qu'elle ressent quand elle apprend la disparition d'un enfant, Maddy au Portugal, un petit réfugié syrien noyé sur une plage... Les petits de l'école Sandy Hook?
Alors, les mamans, combien d'entre vous y pensent encore? Combien ont pleuré devant ces images insupportables? Combien d'entre vous pensent régulièrement aux attentats du 11 Septembre?
On n'a pas besoin de parler la même langue et d'être voisin pour s'imaginer la souffrance des autres et ressentir de la compassion.
Le 11 Septembre 2001, je parie que tu sais ce que tu faisais et que tu te souviens qui t'a annoncé le drame qui se jouait si loin de toi. Combien d'entre nous, qui ne connaissions personne à Manhattan, avons pleuré.
Alors, non, je n'ai pas attendu ce foutu Vendredi 13 à Paris pour comprendre l'Amérique du 11 Septembre.
Nous sommes tous des citoyens du Monde, qu'on le veuille ou pas. Un homme qui meurt, lâchement exécuté alors qu'il boit un verre en humant l'air du temps, qu'il soit à Beyrouth, à Paris, ou à New York est un mort de trop et mérite notre recueillement et notre respect, et non pas un dénombrement macabre des morts, pour savoir à qui revient le diplôme de la plus grande tristesse.

Au début de mon séjour au Texas, j'ai lu une interview d'une célébrité allemande à laquelle un journaliste demandait:"Vous soulevez des fonds pour les enfants de Haiti, vous ne donnez plus pour les enfants dans votre pays, l'Allemagne?"
Elle a répondu "Avant d'être allemande je suis citoyenne du monde, tous les enfants méritent notre attention, ils ont tous la même valeur".

Finalement, c'est notre nombre et notre volonté qui feront la différence. Les populations, où qu'elles soient, l'ont déjà compris. Encore faut-il qu'elles sachent l'exprimer sans haine.