mercredi 24 février 2016

Hors-la-loi au Texas



Depuis quelques semaines, les enfants ont trouvé une nouvelle occupation. Impraticable en été à cause de la chaleur étouffante, des troupeaux de moustiques et de la pollution, l’hiver s’avère être la meilleure saison pour s’initier au geocaching. Le principe est simple, il suffit de télécharger une application sur son téléphone qui va donner les coordonnées GPS d’un lieu dans lequel est cachée une boîte. Une sorte de chasse aux trésors en quelque sorte. Il y a quelques jours, la traque du trésor nous a mené dans un terrain vague, à cinq minutes de la maison. Il est recouvert d’arbres, de rocailles et surélevé par rapport à la route. 
Deux panneaux sont plantés à l’entrée de ce terrain. Ils nous informent que nous sommes  dans un cimetière.
Un cimetière qui ne comporte que deux tombes. Il s’agit du Riley Cemetery et son histoire reflète bien dans quel coin du monde nous vivons, le far west, le vrai. 
Je vais donc t’emmener sur les origines de la création de mon patelin. Tu pourrais me répondre que tu t’en fous un peu et que tu ne t’intéresses déjà pas aux origines de ton bled, c’est pas pour te pencher sur le mien. La différence, c’est que je ne vais pas t’expliquer pourquoi ton village qui date de 45 ap JC porte le nom d’un vieux saint qui s’est fait arraché les yeux, les doigts et le nez puis écartelé entre quatre chevaux lancés au galop. Non, tu oublies que je vis au Texas: comme dans un vieux western, mon histoire va être peuplée d’indiens, de cowboys et de voleurs de chevaux…

Fort Worth, «  where the West Begins » (FW, là où commence l’Ouest)

C’est vers 1840 que les premiers colons arrivent dans la région. Elle est stratégiquement située entre Fort Worth et Grapevine. Fort Worth est alors la ville la plus à l’ouest de la « Frontier ». La signature d’un accord entre les tribus indiennes et la République du Texas, le « Treaty of Bird’s Fort », assure la quasi sérénité des colons du coin. Il a été signé sur les terres de la ville d’à côté, qui se nomme aujourd’hui Euless, et quand tu vois à quoi ça ressemble, tu as du mal à imaginer des tipis dans le parking du mall. 
Ce traité instaure une ligne infranchissable entre les territoires indiens et les colons. Un général de l’armée, le général Worth, décide malgré ce traité et la paix relative avec les Mexicains de suggérer la construction d’un fort , une sorte de base avancée a un endroit stratégique, au bord de la Trinity River. Le pauvre homme n’a pas le temps de voir son projet achevé, qu’il est emporté par le choléra. Son successeur, pour lui rendre hommage donne son nom au fort qui devient Fort Worth. Elle est alors la ville la plus à l’Ouest de la Frontier, et gagne son surnom de « city where the West begins ».
Evidemment, si tu es comme moi avant mon arrivée ici, Fort Wort t’est inconnue. Juste pour info, sache que la  metroplex de Dallas-Fort Worth est la quatrième plus grande métropole des Etats Unis, et la plus grande du Sud des Etats Unis. On est désormais loin du fort au bord de l’eau.
Bedford, mon bled quant à lui, n’existe pas encore mais les premiers colons choisissent de s’établir dans le voisinage du Fort, pour plus de sécurité. Notamment la famille de Jonathan Riley, tout juste débarqué du Kentucky, qui a obtenu un lopin de terre dans un endroit sauvage qui n’a encore ni école, ni nom. En 1861, c’est au tour de Milton Moore, un colon de Caroline du Nord qui décide de créer la première école. Il reçoit une douzaine d’élèves dans sa « log cabin », sa maison en rondins, un peu à la Charles Ingalls…
Entretemps, la « Frontier » s’est déplacée vers l’Ouest, et le fort de Fort Worth est abandonné par l’armée. Les colons en profitent pour en prendre possession et commencent à fonder une ville: école, commerces, poste, la Southern Pacific Stage Line y a même établi une escale avant la grande traversée vers la Californie.

 Bedford, Texas nommée en l’honneur de Bedford, Tennessee.

Le coin se développe. Notre petite ville de Bedford commence à accueillir des groupes de colons du Tennessee vers 1870, qui nomment leur nouvelle ville du nom, je te le donne en mille, de celle qu’ils viennent de quitter! 
Weldon Bobo (on est passé près du pire malgré tout, ils auraient pu décider de la nommer Bobocity), tout juste arrivé du Tennessee, va ainsi devenir l’heureux  propriétaire du General Store, le receveur des postes mais aussi participer à la création de la première église de la ville. Les conditions requises à la naissance d’une nouvelle ville sont remplies:
Bedford est née.

Le folklore et les légendes peuvent maintenant agrémenter le quotidien de la ville. 
Comme l’Ouest en général, le Texas ne fait pas exception et attire toute sorte de repris de justice, opportunistes, voleurs et hors-la-loi. De Butch Cassidy à Jesse James en passant par Bonnie et Clyde, ils sont tous passés par le Texas. Le jeune John Goldsmith arrive avec ses parents et treize frères et soeurs  en 1870 à Bedford,  et choisit malheureusement de suivre la voie de ses illustres confrères. 
Après sa première arrestation, il est conduit dans la prison de Tarrant County. Il s’en échappe après avoir gravement blessé le gardien. Rattrapé et accusé d’avoir volé un cheval, il retourne en prison. C’est lors de sa deuxième tentative de fuite qu’il est mortellement atteint. Il a 22 ans.
On ne sait pas trop où enterrer le hors-la-loi. Finalement, sa soeur Sarah, épouse d’un fils Riley, accepte qu’il soit enterré sur les terres de son époux.
Aujourd’hui, il ne reste de sa tombe qu’un tas de pierres brisées situé à quelques pas de l'autre tombe du cimetière. La date qui figure sur la pierre tombale est 1899. Leurs descendants eux-mêmes doivent avoir oublié jusqu'à l'existence de ces tombes.

En faisant quelques recherches sur ce cimetière, j'ai eu la surprise de lire un article sur les fantômes de Bedford. Un vieil indien, une jeune femme morte en couches et des hors-la-loi revanchards roderaient à la nuit tombée dans certains quartiers. J'ouvre l'oeil.








dimanche 21 février 2016

Medicine Man -partie 2


En bonne française qui n’a pas froid aux yeux, j’aurais pu te raconter avec moult détails ma visite chez la gynécologue américaine. Parce que vraiment c’est différent, mais occasionnellement, la pudeur et la bienséance me retiennent de tenir des propos trop légers. Bon, surtout l’hypothèse d’embarrasser ma mère qui fait la promotion de ce blog auprès de ses copines. J’imagine les réactions compatissantes à l’atelier peinture du Mardi: « ta fille écrit des histoires cochonnes alors?! »
Mais sache malgré tout que c’est comme dans les livres libellés « Romance érotique»: la gynécologue se croit obligée de te commenter tout ce qu’elle te fait, genre: « Je m’assois sur le tabouret. Je me rapproche. Je soulève le drap. vous allez sentir quelque chose vous effleurer la cuisse. Ne vous inquiétez pas, c’est ma main… » 
Je ne m’inquiétais pas mais maintenant si. 

Sinon, avant de passer à autre chose, j’ai discrètement pris une photo d’un passage du questionnaire distribué à l’arrivée, juste pour toi. Tu apprécieras l'attention j'espère, surtout que mes voisins de salle d’attente ont eu l’air très surpris par la photo.

Je crois que ça se passe de traduction.


Comme tu le vois, je l’ai joué femme mystérieuse. 
Inutile d’insister, vous n’aurez rien de moi. 

Tout ça pour introduire la suite de mes «chroniques médicales américaines », Medicine Man -partie 2:

Je fais partie de cette heureuse mais inconsciente génération de sudistes qui a passé son adolescence, les pieds dans le sable, à rôtir sous notre généreux soleil méditerranéen, sans écran total. Bref, je dois donc, à peu près tous les six mois, aller m’exhiber chez un dermatologue que je paye chèrement pour qu’il ait l’opportunité d’examiner ce corps de déesse.

La première année de notre arrivée, j’ai donc sondé fébrilement les sites, passant en revue les appréciations, likes et étoiles, pour dénicher un dermato. Connaissant le penchant pour l’embarras des américains dès qu’une miche est aperçue sur une plage ou dans une rue de La Nouvelle Orléans, je me suis dit que j’irais donc « me faire voir » chez une doctoresse.
Voici le récit de ces visites.

A l'heure dite, je rentre dans un cabinet tellement grand que je me demande si je ne suis pas arrivée direct à l’hôpital. A l’accueil, deux fenêtres s’offrent à moi, je pourrais presque me croire aux sports d’hiver en train d’acheter un forfait, mais non. Dans chacune, une secrétaire m’attend et s’apprête à me poser LA question la plus importante de la visite: « Votre carte d’assurée et votre ID (carte d’identité), s’il vous plaît. »
Là, d’humeur cocasse, j’hésite à demander un forfait journée. 
Elle refuse tout d’abord poliment ma carte d’assurée qu’elle ne reconnaît pas et ne cherche pas à reconnaître. J’insiste. Elle me promet donc de joindre par téléphone mon assurance: « Je vais voir ce que je peux faire ». Je soupire et vais m’assoir.  J’ai encore beaucoup à apprendre sur l’art de manœuvrer les secrétaires américaines.
Je m’apprête maintenant à dégainer mon stylo. La secrétaire m’a tendu un questionnaire de dix pages, m’expliquant que je vais payer, que je sais que je vais payer, et qui d’autre peut payer à part moi. J’ai dix minutes. Mais comme je n’avais pas prévu la paperasserie -je suis française, habituée à aller chez le docteur pour me faire soigner pas pour préparer un grand oral- je suis déjà en retard, surtout que le cabinet est à Dallas et qu’en bonne banlieusarde j’ai tendance à me perdre même avec mon GPS.
Mais ce n’est pas grave, qui prendrait le risque de m’ausculter ici sans m’avoir fait signer la reconnaissance de dettes que j’ai sous les yeux?
Je plaisante mais c’est un peu ça quand même…
Enfin, j’en ai fini avec mon dossier.

Une première personne que j’identifie comme une infirmière appelle mon nom et m’invite à passer la porte. Je comprends que j’ai passé la première épreuve avec succès. Mon assurance doit avoir décidé de couvrir mes arrières.
Je traverse un long couloir, comportant beaucoup de portes qui se font face, je rentre dans l’une d’elles où m’attend une autre jeune personne qui ne s’identifie pas. Elle est derrière un écran mais me parait un peu jeune pour être la doctoresse. 
Là, s’engage un échange curieux: l’infirmière me pose exactement les mêmes questions que celles posées dans le dossier que j’ai rempli le plus consciencieusement possible. Elle désire savoir de quoi sont morts mes ancêtres sur trois générations, de quelles maladies souffrent mes parents et cousins au second degré.
Comme il s’agit de ma première visite, je suis un peu intimidée, attentive  et soumise, surtout que la nana derrière son écran, prend des notes de tout ce que je dis et s’arrête de taper quand je m’arrête de parler. 
Je repense à un épisode de Homeland que j’ai vu la veille et je commence à transpirer.
On est subitement interrompu par l’entrée dans la pièce d’un jeune gars, en blouse, qui se présente comme un interne et qui me demande la permission de lui exhiber mes grains de beauté.
A ce stade-là, non seulement, je me demande si je suis l’attraction du jour: « venez voir la française en culotte dans la 12, » mais en plus je commence à m’impatienter un peu. Mais, bon, ça nous fait passer le temps, je vous en prie, scrutez…
Parce que, oui, je suis en culotte, mais j’ai aussi enfilé la chemise d’hôpital bien connue celle dite « du toit ouvrant », ouverte à l’arrière. Evidemment, on a eu la délicatesse de me laisser seule à ce moment-là. 

Donc, le jeune interne fait semblant d’examiner les grains de beauté situés sur mes jambes et mes bras, il est embarrassé. Je pourrais avoir un furoncle sur le ventre, il ne le saurait pas. 
C’est alors que le Messie, fait son entrée. On est déjà quatre là-dedans: celle qui tapote sur son clavier mes moindres paroles, celle qui la regarde, celui qui me regarde, et moi, qui les regarde. La dermato entre, le jeune gars s’en va après un compte-rendu détaillé de mes mollets et de mes biceps. Elle fait son job, trois minutes montre en main.
J’ai passé plus de temps à bavasser avec l’accueil et les nanas non-identifiées en pyjama vert qu’avec elle.

Trois ans plus tard.

Lors de cette visite, j’ai décidé de choisir un dermato dans ma ville. Après avoir analysé CV, photos et adresses, j’ai donné quelques coups de fil aux docteurs les mieux notés. Toutes les dermatos femmes que j’avais élues, au look très étudié, très hollywoodien, n’avaient pas de rendez-vous disponibles avant trois mois. Je me suis donc rabattue sur un vieux monsieur, dans ma bourgade, que j’ai appelé sans attendre.

« -Bonjour, je voudrais un rdv avec Dr Machin.
-Quelle est votre assurance s’il vous plait?
-Truc.
-Je ne crois pas que l’on travaille avec celle-là.
-?
Elle a dit:  « Je vous passe le service assurances »
J’ai entendu: « -Je vous passe le service imaginaire des assurances inconnues. »
Le téléphone a sonné dans le vide quelques minutes. 
J’ai fini par raccrocher.

C’est sans compter que j’ai beaucoup appris en trois ans. 
Mon assurance et moi nous sommes donc déplacées jusqu’à l’antre de la secrétaire qui ne connait pas Truc.
Quelques minutes après avoir quitté la maison, je me gare dans le parking, sans GPS, et trouve le cabinet dans des locaux à taille humaine -texane, tout est relatif-, ça change.
J’ouvre la porte, deux guichets à forfaits s’offrent à moi, l’une des secrétaires est au téléphone, l’autre mange des gâteaux qu’elle extrait du tiroir à sa droite et manifestement, ne devrait pas. Elle m’ignore. Elle m’ignore et mâche. 
Je pourrais m’énerver, mais tu oublies que désormais j’ai un peu plus de trois années d’entrainements derrière moi. Trois années à me faire appeler Darling  et Honey par des secrétaires qui n’en pensent pas un mot et qui sont fatiguées dès que je dégaine mon assurance d’expat, qui leur est inconnue.
Mais j’ai bien appris ma leçon, encore plus qu’ailleurs, n’affronte jamais quelqu’un en frontal ici. Sois poli, transforme-toi en victime s’il le faut, ça marche à tous les coups. Pense Gandhi.
Mes parents ne me reconnaitraient plus.

Quand enfin, elle lève ses yeux beaucoup trop maquillés vers moi, je lui souris et lui explique ma venue. « Carte d’assurée et ID » réplique-t-elle.
Je lui tends ma carte en souriant, ce qu’elle se refuse à faire, peut-être  que je la dérange au moment du snack matinal, ou qu’elle a peur d’en avoir entre les dents. Je lui offre le bénéfice du doute.
Elle prend ma carte, la survole du regard, la tient entre deux de ses doigts boudinés à la manucure parfaite, me l’indique d’un geste du menton, et me demande avec une grimace de sa bouche écarlate, l’air écœuré:
« C’est une carte d’assurée ÇA? 
J’ai pensé: « Non, c’est ma carte neige, connasse ».
Mais j’ai dit: « Je vais régler ma visite, ça sera plus simple » en souriant, la tête penchée sur le côté pour accentuer notre connivence. 
Devine quoi: elle m’a donné rendez-vous le lendemain matin à la première heure, et m’a tendu le dossier de douze pages (tu sais le dossier médical qui remonte jusqu’à Vercingétorix et qui comporte des questions sur ta crédibilité bancaire) et m’a dit d’un air exténué, « comme ça, ça sera fait ». 
Le lendemain, je suis arrivée à l’heure. J’ai été reçue de suite, par tiens-toi bien: un chouette dermato, qui parle couramment le français, amoureux de Paris et de la Bouillabaisse -j’en aurais chialée d’émotion- dont la première vocation était d’être organiste.
Il a étudié avec les plus grands maîtres français. Il joue deux fois par an à Notre Dame de Paris. Il m’a ausculté avec professionnalisme, partout, et pour couronner le tout, m’a rattrapé à la sortie alors que j’en étais à faire un chèque à la fenêtre comptabilité, pour me montrer une photo de lui devant Notre Dame. La secrétaire s’en est arrêtée de manger, la main dans le tiroir, bouche bée.
Il y a quand même pire que de se faire compter les grains de beauté par un  vieux musicien francophile passionné, non?




jeudi 11 février 2016

Cantine, obésité et lunch box (partie 2)


A notre arrivée au Texas, j’ai eu l’impression d’entrer dans le dessin animé « Wall-E ». Beaucoup de personnes en surpoids qui ne savent se déplacer qu’accompagnées d’un tonneau de soda, et qui conduisent allongées, parce qu’il n’y a pas assez de place dans la voiture, une main sur le soda l’autre dans le paquet de chips.
Un copain canadien nous a dit récemment:  « Tu sais, aux US, on ne vieillit pas comme en Europe. Compare une personne de 60 ans en Amérique du Nord avec un européen de 60 ans, c’est incroyable. » 
Comment pourrait-il en être autrement? 
Est-ce que tu sais qu’il y a des chaises roulantes électriques en libre service à l’entrée des supermarchés? 
La plupart du temps elles ne sont pas utilisées par des personnes handicapées, elles sont utilisées par des personnes atteintes d’obésité morbide qui ne peuvent plus se déplacer. Et ce n’est pas de l’eau qui déborde de leur caddie, crois-moi!

De même, à l’école de ma fille, un jeune papa vient en voiture chercher son fils, avec une chaise roulante électrique, accrochée à l’arrière de son pick-up. J’ai pensé à un vétéran. Pas du tout! Il s’est garé sur une place handicapée, est sorti en marchant de sa voiture, a attrapé sa chaise roulante, s’est installé dedans et roulez jeunesse!
Il souffrait d’obésité à un stade dramatique et ne pouvait clairement pas tenir sur ses genoux bien longtemps.

Une de mes bonnes amies m’a avoué récemment avoir été « very chubby» (potelée). Elle m’a expliqué qu’un jour elle avait eu un déclic, avait décidé de se nourrir «comme une française » et s’était mise au sport. Toute sa famille souffre d’obésité, elle fait exception. Elle cuisine, y prend plaisir et enseigne à ses filles comment vivre une vie saine. 
Tu as noté le « comme une française »? 

La cuisine du Sud des Etats Unis est très riche et très grasse. La friture est omniprésente, et la mention « ne mange pas trop salé, pas trop sucré et pas trop gras» ferait s’étouffer de rire sur leurs chips des gamins devant leur télé.
A chacune de nos sorties, si il y a bien une chose à propos de laquelle je ne m’inquiète jamais, c’est la nourriture. Je n’ai pas dit que c’étaient des sorties gastronomiques, loin de là!

Tacos
Tacos au fromage, brisket et pico de gallo: une tuerie!


Je dis qu’il y a de quoi remplir des estomacs affamés au milieu du désert en Arizona, ou en rase campagne dans le Sud Texan. N’importe quel jour de  l’année. Si je me souviens bien, un dimanche sur les routes de France, à 15h, c’est loin d’être aussi commode!

A notre retour de Taos, au Nouveau Mexique, pour le week end de Thanksgiving: il neigeait, les routes étaient verglacées, on avait 12 heures de route à avaler. Lorsque le petit déjeuner bio dégotté à la sortie de la station nous a semblé un lointain souvenir, on a dû se contenter de chaussons aux pommes chimiques et de bouteilles d’eau « purifiée » achetés en faisant le plein, proposés entre les « corn dog » et les chips.  
Tu ne veux pas savoir ce qu’est un corn dog, crois-moi. 
Tu insistes?
J’ai investigué, j’ai goûté et j’ai des remontées acides rien que d’y repenser. Une saucisse plantée sur un bâton trempé dans la pâte à frire et frite. 
Faut aimer l’huile!

Corn dog
Corn dog



Si tu n’es pas convaincu et que tu trouves que je fais ma fine bouche, non seulement, j’ai peur pour tes artères mais en plus sache que neuf des dix états possédant les plus hauts taux d’obésité sont situés dans le Sud. Au niveau national, le Texas est classé 15e. Les populations les plus pauvres sont les plus touchées, de même que les populations afro-américaines et hispanos. En moyenne, de 2 à 19 ans, un enfant sur trois est obèse…

Je te parle des hormones, des antibios, des OGM? Je te raconte qu’une grande majorité des petites filles de 10 ans ici, a déjà vu avec bonheur la puberté lui tomber dessus?
A 10 ans, les gamines sont aussi grandes que moi, ont les seins que je n’aurai jamais et les garçons n’en parlons même pas. A cet âge-là, si ils parlent de jouer au docteur, crois-moi, ce n’est pas au Docteur Maboul…

L’un des sujets qui revient le plus souvent quand deux expats français se croisent, c’est la bouffe!
Ils se refilent au détour d’une conversation les bonnes adresses pour trouver LE saucisson qui fait illusion sans risquer sa liberté à la douane, une galette des rois digne de ce nom, le vin français à des prix défiants toute concurrence et autres victuailles pour festoyer dans le bonheur. 
Lorsque je fais mes courses, je dois malheureusement visiter plusieurs supermarchés: 
Celui où le pain est bon, celui où les fruits et légumes sont frais et bios, celui où la viande est « grass-fed » (nourri à l’herbe), celui où les poulets ont couru le plus loin et celui où je trouve du poisson l'oeil vif et clair.
Si je te raconte que le vin et les alcools forts s’achètent dans des supermarchés spécialisés, tu imagines le temps perdu. 

Combien de fois ai-je vu passer des articles sur les réseaux sociaux du genre: 
Que ramenez-vous de France? 
Qu’est ce qui vous manque le plus en Amérique?
Nous les Français, sommes malgré de nouvelles habitudes alimentaires peu recommandables, de fines bouches et notre tradition gastronomique nous suit finalement partout. Y a-t-il quelque chose qui m’agace plus que de voir des réactions de joie à l’annonce de l’ouverture d’un fast food dans ma région d’origine. 
Je n’ai rien contre les hamburgers et je repense même avec émotion à mon premier hamburger. Fait maison par une copine d’école, j’avais 15 ans. Elle a fait revenir des oignons, tranché des tomates juteuses, essoré de la salade verte, envoyé grésiller un steak hâché au fond d’une poêle et l’odeur qui s’échappait de la cuisine me taquine encore les narines… 

Pour en revenir à l’école et à son rôle dans l’éducation alimentaire des enfants, Vendredi, c’est Valentine’s Day Party à l’école de ma fille. Je suis volontaire pour aider la maîtresse et acheter quelques snacks. J’ai proposé des fruits et des pretzels. La maîtresse m’a demandé de m’en tenir à la liste: -chips et Cheetos. O joie!
On est super loin de la petite école de mon quartier Aixois où la directrice râlait quand une maman avait le malheur d’amener un gâteau qui n’était pas fait maison, pour fêter un anniversaire. Finalement, j’y repense avec nostalgie. Après tout, nous sommes français, tous des chefs potentiels aux yeux des américains, il y a un standard à tenir, non?






mercredi 10 février 2016

Cantine, obésité et lunch box (partie 1)





Je te répète souvent combien le Texas, c’est chouette. Aujourd’hui, j’ai décidé de parler d’un sujet sur lequel je me tais depuis trois ans et demi.
Trois ans et demi que je cherche comment aborder le sujet. Trois ans et demi que je peste quasi tous les matins. Trois ans et demi que je me demande comment je vais tenir un jour de plus. 
Ça risque de tenir du roman fleuve; aujourd’hui, je te parle cantine, obésité et lunch box.

Pour ceux qui ne sont pas familiers de ce concept, plus communément appelé dans ma tête,  "la putain de lunch box" il s’agit de préparer:
1- un repas appétissant, 
2- qui s'accorde aux goûts  alimentaires compliqués de ta descendance (made in France, ce qui a son importance sinon EVIDEMMENT que je leur refourguerais un "peanut butter jam" PBJ pour les intimes), 
3- qui n'a pas besoin d'un micro-ondes ni d'un couteau pour être dégusté (Malheureux! Et puis pourquoi pas un pique à glace?), 
4- qui est encadré de deux petits glaçons bleus, 
5- dans un joli petit sac à l’effigie de Hello Kitty pour ton enfant qui, par goût personnel ou par clairvoyance maternelle, se refuse à manger à la cafétéria de l’école. 
Au cours de notre première année texane, j’ai assisté aux repas de mes enfants tous les jours pendant un mois à la cafétéria. Ça aussi, c’était nouveau. Essaye un peu en France de taper l’incruste dans la cantine pour tenir compagnie à ton gosse pendant le repas de midi, et n’hésite pas à me raconter ton expérience en commentaire, hashtag « émeuteàlacantine ».

Ici, point d’émeute. Comme d’habitude, tout est parfaitement chorégraphié.
Les maîtresses encadrent les élèves et mangent en même temps qu’eux, épluchant une orange ici, ouvrant une brick de lait là.
Les enfants rentrent à la queue leu leu dans la cafet’, se dirigent vers le côté du comptoir qui leur est attribué et ils attendent en ordre dans un léger brouhaha, leur tour. 
Oui, un léger brouhaha.
Un feu de circulation est installé sur le mur, et il se doit d’être au vert. Si il clignote, les enfants doivent comprendre d’eux-mêmes qu’ils sont trop bruyants. Si ça passe au rouge, les maîtresses interviennent. J’t’explique parce que ça vaut le coup d’oeil.
Les maîtresses lèvent une main en l’air, en faisant un 0 avec leurs doigts, sans rien dire. Les enfants, ceux qui sont attentifs, répètent le geste et les autres qui bavassaient avec leur voisins ou faisaient carrément les cons- ce sont des enfants pas des zombies non plus- comprennent le message et au fur et à mesure, le silence s’impose. 
Il arrive, en début d’année, que les maitresses fassent usage d’un autre truc: elles mettent deux doigts sur leur gorge et expliquent aux enfants que si ils en font autant, ils sauront à quel moment ils parlent trop fort. Si ils sentent une vibration sous leurs doigts, c’est trop fort.

Tout ça, ça marche jusqu’à 10 ans. Je ne te cache pas que les 6e grades n’en ont -comment dire ça de façon imagée et réaliste?- oui, voilà: rien à péter et mon fils s’est plaint plus d’une fois que la classe s’était fait sucrer la récré pour cause de bordel dans la cantine.

En tout cas, ça fait quand même son petit effet quand tu es habituée à une maîtresse française qui hurle beaucoup. Je me souviens de ce jour en France où j’ai accompagné la classe à la piscine avec une autre maman. La maîtresse trouvait que les enfants étaient trop dissipés (rétrospectivement, à peine un feu orange) et avait trouvé bon de hurler que les deux mamans accompagnatrices s’étaient plaintes de leur manque de discipline (QUOI?). Et pour la première fois de ma vie et la dernière j’espère, j’ai entendu un gamin de huit ans me dire « je t’emmerde, madame » dans les vestiaires. 

Mais je digresse une fois de plus. 

Mes deux enfants ne parlant pas un mot d’anglais et la plus jeune n’étant pas habituée à manger ailleurs qu’à la maison, je n’allais pas leur faire ce coup-là. Ils en avaient déjà assez gros sur la patate en ayant quitté leurs potes, leurs familles, leurs instits, leur appart, leurs habitudes, sans que j’en rajoute une couche, du genre :
« -Ah ben non, maman ne vient pas à midi, maman a un blog à écrire. »
J’ai donc fait l’aller et retour deux fois par jour entre l’école et la maison pendant le premier mois, apportant religieusement la lunch box telle la petite maman mésange déposant la becquée à ses petits dans le nid douillet. Avec amour.

Tu parles.
La première année, mes enfants étaient dans la même école. C’était pratique. 
Bon, en fait, non. Ma fille en 1e année, mangeait à 10h30. Oui, le repas de midi. Du moins son repas de la mi-journée, parce que pour le coup on était loin de midi. Mon fils, lui, mangeait 3/4 d’heure plus tard. Les enfants se présentent par niveaux dans la cafétéria qui ne serait pas assez grande pour contenir toute l'école en une ou deux fois.
Je zonais donc dans le couloir, en attendant l’arrivée de ma progéniture. 
Ce qui était vraiment pratique, c’est que lors de notre première année passée ici, la cantine proposait deux ou trois repas par semaine qui étaient susceptibles de plaire à mes deux petits français: La baked potato (la pomme de terre en robe des champs), les spaghettis et la pizza.
Au fil de ces trois années, les menus ont évolué. Les pommes de terre et les spaghetti ont quasi disparu des menus, remplacés par des repas calamiteux. Note la persistance de la pizza. Je vais y revenir.

C’est le moment pour moi de te rappeler que les First Ladies américaines choisissent un cheval de bataille lorsque leur mari arrive au pouvoir. 
Celui de Michelle O., c’est l’obésité infantile. Elle a donc installé un potager dans le jardin de la Maison Blanche, histoire de rappeler que les légumes et les fruits sont comestibles même si ils poussent dans la terre.
Elle a aussi payé de sa personne. Elle a dansé et bougé sur les plateaux télés pour promouvoir son action. Ce qui lui a valu de s’entendre dire par un gentleman:  « She needs to drop a few ». ("Elle a besoin de perdre un peu".)

Ma pauvre Michelle, je te le dis officiellement: «  Tout ça -le potager, la danse et les humiliations- n’a servi à rien. »
Dans un pays qui compte la pizza comme un légume à la cantine, comment peut-on lutter?
Comment peut-on habituer des enfants à manger équilibré lorsqu’à la cantine de leur école, on leur propose:






Disons que j’ai huit ans et que je mange deux repas à l’école par jour:
Lundi, au petit déj’, j’ai donc mangé du poulet servi avec des gaufres (no comment) parce que les céréales, c’est moins fun. 
A midi, j’ai vu la pizza, et je me suis dit, « Tiens, je vais prendre le légume ». Le soir, comme mes parents sont rentrés tard, ils ont acheté des hamburgers sur la route. 
Mardi, j’étais ravie, il y avait une pizza au petit déj'. C’est maman qui va être contente quand je vais lui dire que j’ai mangé des légumes deux fois dans la semaine. A midi, j’ai choisi les nuggets de poulet. Comme je n’ai jamais vu la vidéo qui explique comment on fait des nuggets de poulet sans poulet,  je me suis régalée… 


Sois patient, demain, promis je rentre dans le vif du sujet...