samedi 22 juillet 2017

Les amis, ce sont ceux qui savent tout de toi et qui t'aiment quand même.



Je ne sais plus si au cours de ces cinq années je t'ai fait part de l'intéressante étymologie du mot "Texas". Ce mot provient du mot indien "Tejas" qui signifie " amis". J'en profite pour répéter combien le Texan est chaleureux et accueillant tout en te glissant qu'il est quelquefois bien difficile à atteindre. Difficile de pénétrer dans la maison d'un Texan et de s'en faire un ami fidèle à la vie à la mort. 
La solitude fait partie intégrante de nos vies depuis ces cinq dernières années. Des amis ont croisé nos vies, s'y sont attardés un moment avant de prendre la poudre d'escampette. Peu sont ceux que l'on embrassera le dernier jour avec émotion, peu sont ceux que l'on reverra, mais le plus étonnant réside dans l'identité de ceux que je vais pleurer amèrement. 
La personne qui va vraiment me manquer parce qu'elle fait partie de ma vie texane depuis le premier jour est mon "pool guy", Bill. Pour la première fois, je te donne un vrai nom à te mettre sous la dent, parce que Bill, c'est Bill, et qu'une initiale ne pourrait pas lui rendre honneur. Bill, c'est une des premières personnes qui m'ait parlé au Texas. Je l'ai cotoyé pendant cinq ans, tous les vendredis. "Cotoyé" est un mot bien timide pour décrire mon amitié avec ce vieux costaud aux cheveux blancs, perclus de rhumatismes qui passe malgré tout ses journées en génuflexion devant des piscines. 
A une époque, les enfants s'amusaient à dire "Bill, c'est le seul ami de Maman". Probablement vrai. Bill est né le même jour que ma BFF, j’ai tout de suite vu ça comme un signe du destin. 
Il est le seul avec qui j’échangeais des messages avant chaque match des Dallas Cowboys. C'est dire... Il m'a donné ses théories sur l'équipe et surtout m'a expliqué chaque année en avance de phase, pourquoi l’équipe n'irait pas au Super Bowl. 
Il m'a raconté sa vie, ses turpitudes, celles de son fils, et il me parle de sa famille éclatée à chacune de ses visites. Il se marre quand je lui offre de l'eau et grimace quand je bois du Perrier. L’eau, c’est pour la piscine, la bière, ça hydrate. 
Tous les Vendredis, il nous souhaite un bon week end et d’un air complice, me demande invariablement depuis cinq ans de casser quelque chose: "Break something!" en montant dans son énorme pickup rutilant, histoire de se faire des sous. On l'a beaucoup déçu jusqu'à la semaine dernière. 
Piscine inerte sous un soleil de plomb.  Constat sans appel: moteur mort!
En s'extrayant de son truck quelques minutes après mon appel au secours il me regarde, goguenard et me dit: "J'ai dit de casser quelque chose, mais pas quand il fait 40C!"
Comme tous les Vendredis il débarque avec son filet et son saut de chlore, il jure tout en se marrant et en scandant chacun de ses pas d’un "Oh my god, oh my god, oh my god...". 
Il m'a annoncé le mois dernier qu'il avait décidé de tout quitter pour venir en France avec nous, parce qu'ici, sans nous, ça va être déprimant. Personne ne sort jamais de sa maison pour l'accueillir ou juste dire bonjour quand il arrive. La plupart des proprios restent dans leur maison et payent pour ses services pas pour lui faire la causette. 
Je discute avec lui toutes les semaines. Il m’apprend à dépanner la piscine « au cas où », et me raconte les aventures de sa petite fille qu’il idolâtre totalement. 
Je sais pas trop comment on va garder le contact. Comme mon père, il a les doigts abimés des travailleurs manuels et il déteste taper sur les touches du téléphone, trop proches et si ridiculement petites qu’il ne les distingue qu’après avoir posé ses lunettes sur le saut de chlore. 
Du coup, quand je lui texte une question, il répond d’un laconique « K ». 

Je me souviens de ce jour où il est arrivé à la maison alors que je guettais son arrivée derrière les rideaux. Il y avait une énorme araignée vivante juchée sur le panier du skimmer et je voulais le prévenir avant qu’il n’y mette sa main. 
Il sort de sa voiture, attrape son matériel et me suit. Il a l’oeil qui frise, je sens qu'il va se moquer de moi. Il s’accroupit, ouvre la trappe, envoie la main, je la vois avant qu’il ne la voit, je hurle, il crie, on sursaute et il en tombe à la renverse. 
J’en ris encore!

Le moment venu, on va dire au revoir aux rares "locaux de l'étape" qui n’ont pas eu peur d’offrir leur amitié à des gens de passage parce que finalement, on n’a jamais trop d’amis.
On va dire au revoir à tous ces autres expats et transplantés, qui n’auront pas peur j’en suis sure, de venir nous voir sur un autre continent.
Et puis surtout, nous allons retrouver tous ceux qui nous ont attendus et ne s’en sont pas lassés. 
A eux, je vais leur dire les mêmes mots que Bill quand il est monté pour la dernière fois dans son pickup sans me regarder « I love you, guys ».


Au cours de mes lectures, lorsque j’étais étudiante, je suis tombée sur un mémoire de thèse dont l’auteur avait rédigé ces quelques mots dans ses remerciements, je n’ai aucun souvenir de son identité, je doute qu’il passe par ici, mais s’il le fait, qu’il y voit un hommage!

« J’eusse aimé, enfin, passer en revue ceux, individus, à qui j’ai mendié quelque aide et qui m’ont ignoré ou éjecté. Un dernier sentiment de charité et de pitié m’en empêche.

Que tous, amis ou ennemis, trouvent un jour ce que j’ai trouvé en eux : générosité ou stérilité. »