jeudi 9 juin 2016

Le Lauréat



A la fin de l’année scolaire, c’est à dire le 25 Mai, dans notre district scolaire ont eu lieu les « Graduations »: la remise des prix pour les élèves de lycée qui ont glorieusement fini l’année. Si tu me lis régulièrement tu sais que nous sommes outrageusement jeunes surtout moi et donc absolument pas concernés par des enfants en âge d’aller au lycée. 
Cette expérience risquait donc de nous passer sous le nez, si l’une de nos amies n’avait pas eu la géniale idée de nous inviter à la Graduation de son fils. 
Autant te dire que, comme d’habitude, en Amérique, tout est réglé au millimètre près et que nous n’avons pas été déçus. 
Tout a commencé par une jolie carte d’invitation reçue au courrier. Le diplômé en question, beau gosse, ne sourit pas sur les photos qui ornent l’invitation et «  gives it all to the camera », (« donne tout à l’appareil ») comme nous l’explique sa mère en riant. Il a 17 ans mais quand il sourit, il ressemble au petit garçon de 8 ans que j’ai aperçu sur des photos. 
La cérémonie va se dérouler dans le Convention center de Fort Worth.
Il pleut depuis des jours et le matin de la cérémonie ne déroge pas à la règle, il pleut des trombes d’eau, on patauge dans le parking, le Texas est sous l’eau.  

Convention Center de Fort Worth avant l'arrivée des Seniors


En entrant dans le Convention Center, on comprend qu’ici la Graduation, c’est du sérieux. 


On devrait peut-être s’en inspirer en France. 
Tous les ans, au mois de Juin, Jean-Pierre Pernaut et ses collègues, visionnaires, te présentent les révisions du bac selon les cancres et les cracks qu’ils auront dégottés. 
Comme tous les ans, tu rencontreras ainsi le plus jeune élève puis le plus vieux à se présenter à l’examen. 
Le jour J, on va pénétrer à l’aube dans la cuisine de la famille Machin pour partager le petit déjeuner de vainqueur préparé avec amour par les parents Machin super stressés, pour leur progéniture ensommeillée. 
On filme même les jeunes en retard, les premiers à sortir, et quelques semaines après, les larmes et les cris de joie des reçus, le désespoir de ceux qui vont à l’oral, etc… 
Tout ça généralement sur fond de polémique annuelle, la fameuse polémique du « bac qui a perdu sa valeur » à coup de pourcentages sur les réussites et les échecs de nos lycéens, des lycées privés, publics, selon les académies, l’influence de la météo sur les révisions, le blabla insipide habituel. 
Tout le monde va y aller de sa petite critique et finalement ceux qui ont le bac vont affirmer à ceux qui le passent que l’on ne peut rien faire sans, et ceux qui le passent vont se demander pourquoi se casser le train à le passer si ça ne veut plus rien dire. T’avoueras que c’est moyennement motivant d’entendre que le bac c’était plus difficile y’a 20 ans, surtout qu’il y a 20 ans, quand on révisait, on révisait. On n’était pas partagé entre la 2è Guerre Mondiale, Instagram et Snapchat. Et je te ferais aussi remarquer que les jeunes d’aujourd’hui ont quand même 2o ans d’histoire en plus à se coltiner, par rapport à y’a 20 ans. CQFD.
Tu vois, tu peux éteindre ta télé, je viens de te faire gagner un temps fou, je viens de te raconter les infos nationales du prochain mois. 

Pendant ce temps, ma copine américaine a créé ses cartons d’invitation, acheté  la cape noire de son fils, le Graduation hat et le tassel, le couvre-chef carré et le pompon qui fait loucher. L’école a retenu le Convention center de Fort Worth de 14 à 16h. La Band a répété sans ses membres habituels. Lorsque nous entrons, elle est déjà installée et constituée des élèves qui ne "graduent" pas, et la salle est pleine comme un oeuf,  remplie de familles et amis, présents pour applaudir les jeunes.

Les seniors, c’est à dire les élèves de Terminale sont tous habillés très classe pour l’occasion: les filles surtout n’hésitent pas à porter des robes de soirée et des stilettos, qui seuls sont visibles sous la cape.

Les Seniors qui se sont distingués cette année prennent place sur la scène avec tout le gratin du Lycée. On a reçu un programme nous expliquant le déroulement de la cérémonie. Je ne sais pas qui a eu la présence d’esprit de nous pondre le livret, mais je le remercie intérieurement. On y trouve l’identité des intervenants, les paroles de la chanson de l’école et surtout à quel moment nous devons nous lever et nous assoir. Je repense à ces moments de solitude les rares fois où je me pointe à l’église en France et je me demande pourquoi c’est pas pareil.

Discours du Valedictorian

Les dix meilleures élèves de la promo sont cités et le valedictorian et salutatorian, major et second de la promo montent au pupitre à tour de rôle et nous lisent leurs discours.
Autant te dire qu’à 18 ans, je ne connais pas grand monde dans mon lycée qui aurait été capable de pondre un truc pareil. Quelle maturité! Quel à propos! J’en suis toute retournée. Je verse même une larmichette quand la salutatorian nous explique qu’elle est ravie d’avoir si bien réussie notamment pour en remontrer à celui qui, quelques années auparavant lui avait prédit qu’elle ne ferait jamais rien pour deux raisons remarquables: « T’es une fille et t’es blonde ».
Elle est aussi très fière de montrer que la moitié des dix meilleurs élèves de Trinity High School sont des filles, à ses côtés, sur l’estrade. Elle nous explique aussi, qu’elle avait secrètement un autre challenge: perdre du poids. Elle pèse donc 20 kg de moins qu’en Août dernier, elle sourit de tout son bonheur et finit son discours par des remerciements. « Ma famille, mes amis, mes professeurs et Jésus-Christ »
Je me retourne vers l'Homme qui reste impassible alors que je glapis dans son oreille: « Jésus Christ? »
Elle a le bac et remercie Jésus Christ? 
Le mari de ma copine se retourne vers moi et me jette un regard réprobateur au moment même où je demande à l'Homme si on est dans une secte. Mes paroles se perdent dans l’ovation que la salle fait à Jésus. 
S’ensuit le discours du major de promo dont le meilleur pote a dit de lui pour l’introduire derrière le micro, « Je le respecte surtout parce qu’il est le mec qui sort avec Anna Smith ». Ce que j’ai trouvé fort drôle. Il est temps d’appeler un par un les élèves pour en faire des diplômés. Le diplôme leur est remis, une photo est prise, ils défilent sur la scène. Les joueurs de foot sont ovationnés par toute la salle. C’est sûr que c’est moins intime que la remise de notre propre diplôme, quelques années en arrière, remis par une secrétaire grincheuse qui regrettait sa matinée à la plage, dans une salle de classe surchauffée, dans laquelle il n’y avait ni photo ni trompette. 
De toute façon, on n’imaginait pas qu’il y avait une autre façon de célébrer le bac : en buvant une sage coupe de champagne avec les parents soulagés avant de se rendre à une Happy Hour titanesque, répétée toute l’année, au son de « Smells like teen Spirit». Et où l’on s’en remettait plus à Nirvana qu’à Jésus pour sûr. 

Il est maintenant l’heure de jouer l’hymne de l’école et on se lève tous comme un seul homme: le drapeau de Trinity High School traverse le carré des diplômés, tout le monde le pointe du doigt en reprenant le refrain, T’S UP!


Le drapeau de Trinity HS traverse la salle sous les ovations

L’émotion est à son comble, les élèves peuvent changer le pompon de côté, ils sont officiellement diplômés. Ils peuvent maintenant jeter leur graduation hat en l’air, j’ai les larmes aux yeux, ma copine aussi. Mais pas pour les mêmes raisons. Elle pleure son premier bébé qui va quitter la maison, je pleure parce que c’est beau comme un film!
Quand on sort du Convention Center, la pluie a cessé, le soleil brille, il fait 39C. 
Class of 2016, que votre avenir soit aussi radieux et aussi heureux que cette journée!







mercredi 1 juin 2016

Naked and Afraid




Je ne sais plus si je t’ai déjà parlé de la télé américaine. 
La triste vérité à son sujet, c’est que quand tu vis ici, tu n’allumes quasi jamais ta télé. La publicité est omniprésente et tellement envahissante qu’il faut user d’une infinie patience et de stratagèmes subtils si tu tiens vraiment à donner sa chance à une émission américaine. Ceci dit, vu la diversité des émissions proposées, il te faut beaucoup de courage et d’abnégation. Nous, c’est pas compliqué, on a opté pour la version américaine de The Voice (parce que j’aime les tatouages) et pour la chaine anglaise PBS, le mercredi soir. 
Il s’agit de l’émission Nature. Une heure de reportage animalier par semaine quand tu as grandi avec Cousteau et les Animaux du Monde le Dimanche après-midi, ça peut avoir l’air d’une revanche d’enfoirés sur tes propres enfants. Mais en fait, on se rend compte que l’hibernation des castors dans le Minnesota ou les hôpitaux pour koalas albinos en Australie donnent une saveur particulièrement apaisante à l’heure du coucher. 
Après ça, tu peux regarder n’importe quelle série peuplée de faux applaudissements et de rires enregistrés et te dire que le scénario mérite un Oscar.
C’est en zappant remplis d’espoir au début de notre séjour que nous avons découvert avec une grande curiosité des émissions genre Ninja Warriors ou encore Naked and Afraid. 
Celle-ci a vraiment ma préférence. Je ne vais quand même pas te raconter Ninja Warriors, avec un peu de chance, la télé française nostalgique des années Guy Lux, te proposera ça cet été, Intervilles version stéroïdes.
Donc, Naked and Afraid. Comme son nom l’indique, il y a des poils et de la trouille. Quel programme! 
Si tu es en quête de nichons et de fesses, sache que tout est flouté, tu vas donc rester sur ta faim. Zappe sur HBO directement.
Le principe est simple, on prend un homme et une femme (qui ne se connaissent pas, c’est plus drôle), on leur confisque leurs sapes et leurs tongs, à la place on leur file un sac avec une carte et l’objet de leur choix chacun, et on les dépose en pleine nature, de préférence hostile, dans laquelle ils doivent survivre 21 jours. 
Ils doivent donc se débrouiller pour trouver de la nourriture, de l’eau, et faire du feu très rapidement. 
On a regardé très peu d’émissions, mais tous les cas de figure se sont présentés. Les deux protagonistes sont poussés dans leurs retranchements par la faim, le froid et la peur. Oui, un peu comme Koh Lanta mais en plus trash, parce que quand même, péter une crise de nerfs en s’agitant dans tous les sens quand tu as les meules à l’air, même flouté, ça a de la gueule. 
Il y a ceux qui se hurlent des insanités, ceux qui s’ignorent, ceux qui deviennent copains comme cochons, ceux qui deviennent cochons tout court et qui te font te demander si tu vas devoir protéger d’une main chaste la vue de tes enfants. 
Il y a ceux qui se débrouillent tellement bien que tu as l’impression de regarder une émission de Bear Grylls version HBO, et qui te pousseraient presque à postuler. Il y a ceux qui crèvent tellement de faim qu’ils finissent très vite par s’engueuler et aller bouder chacun à un bout de la plage et généralement, un des deux a une insolation et sort sur une civière.
Il y a les pudiques qui se cachent derrière leur sac, souvent des nanas d’ailleurs. Arrête, on sait très bien que les hommes adorent exhiber les dimensions de leur intimité. Surtout si en plus, ils ont la possibilité de faire une démonstration de leur habileté à chasser avec une lance ou une sarbacane. 
La dernière fois, un texan, super à l’aise dans son corps, les mains sur les hanches, les jambes galbées, écartées, bien plantées dans le sol, le sac nonchalamment jeté sur l’épaule, attendait de pied ferme la femelle qui allait lui être attribuée. Si-si c’est quand même un peu ça. Quand elle a enfin été larguée sur zone et pour éviter toute fatigue supplémentaire au mâle qui aurait pu impliquer une quelconque parade amoureuse, elle a expliqué directement qu’elle était lesbienne, en couple et pas impressionnée.
Ça a été une des meilleures émissions qu’il m’ait été donné de voir, même si mon référentiel est restreint. Leur complicité et leur humour ont transformé l’aventure: ils ont gagné et c’était beau à voir! 
Enfin, gagné! 
Rien gagné puisque dans cette émission, remporter le défi ne te rapporte qu’un pendentif  miteux.

Passer trois semaines avec des serpents, des tiques et des araignées qui t’empêchent de dormir, quand c’est pas un ours, un inconnu relou qui va s’exhiber à longueur de journée et te proposer la nuit de te réchauffer, la pluie, les orages, pas d’apéro, pas de téléphone, tout ça pour un collier hippie en poils de zébu avec un bout d’os dessus, moi, c’est tout vu, j’y vais pas.





jeudi 24 mars 2016

Sophie 2.0



Lever de Soleil sur le Texas



Quand je lis un blog d’expat qui me plait, je me pose toujours la même question au bout d’un certain temps:« Ils sont là pour combien de temps? »
Même si de nos jours on insiste sur le fait que les hommes peuvent être les accompagnateurs, l'homme est souvent à l’origine de l’expatriation. La femme, elle, est souvent à l’origine du blog. 
La plupart des blogs d’expatriés que je peux vous citer comme ça, sans réfléchir, sont féminins. L’homme se cache quelquefois derrière les photos, les films ou la technologie, et des fois, il est juste le premier lecteur, celui que l’on scrute pendant qu’il lit le premier jet. Et que l’on engueule si il a le malheur de critiquer.

La plupart du temps, dans les blogs d’expatriés, on retrouve les articles concernant notre nouveau quartier, pays, état, on le décrit, on l’explique et on s’en plaint, on l’encense et on le descend. On explique pourquoi on l’aime, pourquoi on le hait, pourquoi on est parti, pourquoi on s’émerveille, pourquoi c’est différent et pourquoi c’est pareil. Pourquoi on regrette notre pays et pourquoi on est content de l’avoir quitté. 
Mais il y a une chose que l’on retrouve moins souvent. C’est pourquoi on y retourne dans notre pays.
Certains rentrent plus tôt, ils sont peu nombreux à l’avouer, mais des fois, l’expat, c’est dur. Il y a ceux qui sont déçus, qui sont malheureux, ceux juste qui ne s’y font pas.
Et il y a ceux qui doivent rentrer, juste rentrer, parce que c’est l’heure.
C’est vrai qu’il est rare que les expats claironnent à travers leur blog la date de péremption de leur voyage. C’est un peu tabou et personnellement je n’aime pas que l’on me pose la question. 
Ça renvoie à la fin de la parenthèse enchantée. Ça rend plus réel un moment que beaucoup redoutent. 
Pourquoi le retour fait tant frémir?
Pourquoi l’impatriation est-elle redoutée?
Pourquoi retrouver son pays serait-il un problème?

Tout d’abord difficile d’expliquer que l’on n’est plus vraiment la même personne que celle qui est partie quelques années auparavant. Que les années passées à l’étranger nous ont changé. Et pourtant, c’est le cas. 
Je suis partie de France dans une chaise roulante à cause d’une maladie dont je ne soupçonnais pas l’existence. Les crises de plus en plus longues et de plus en plus pénibles tout au long de ces années. Jusqu’à ce départ. 
Le départ pour le Texas.

Ma zone de confort


L’éloignement de tous les tracas et les peurs et les appréhensions qui  m’étouffaient ont changé la donne. Je me suis déchargée d’une partie de mes angoisses, je me suis prouvée que je pouvais dépasser mon stress. Je me suis débarrassée de ces chaines qui m’entravaient, de ces deuils impossibles à faire, de ces mauvaises influences qui m’empoisonnaient la vie et je suis née autre. Qui croirait qu’une zone de douane peut faire de tels miracles?

Coucher de Soleil sur le Boys Ranch


On parle beaucoup de cette fameuse «  zone de confort » ces derniers temps, surtout pour les expatriés. 
Avoir le courage de sortir de ce périmètre  que l’on connait et qui ne fait pas peur et s’aventurer un peu plus loin dans l’inconnu. Découvrir que l’inconnu est excitant et grisant. Ou plutôt, découvrir que l’on gère très bien l’inconnu et que l’on y prend plaisir. 

Une sorte de revanche sur toutes les fois où, plus jeune, à l’école, les profs me trouvaient trop sage, trop timide et surtout un peu trop dans les jupes de ma mère… Les voyages scolaires me faisaient pleurer, les boums m’horrifiaient, prendre la parole en anglais devant la classe me paniquait. J’admirais ces autres qui étaient à l’aise partout, n’avaient aucun complexe, ou du moins, en donnaient l’impression, travaillaient mieux, n’étaient jamais malades, et surtout jamais stressés.

Partir c’était aussi s’éloigner de notre appart, au pied duquel je m’étais faite agresser. Quelque chose d’absolument inimaginable dans mon quartier texan, trois mecs assis derrière ta porte qui te promettent de te faire la peau à tes gamins et à toi.

Ce départ, c’était la chance de se retrouver et de se reconstruire. Je me sens plus libre que je ne l’ai jamais été. Ma maladie s’est faite oublier et je cavale comme un lapin dans les grands parcs de l’Ouest. Ici, jamais personne ne m’a reproché de ne pas travailler et de n’être « qu’une femme au foyer en vacances toute l’année », qui devrait « définitivement se trouver un job ». Je parle dorénavant en anglais sans complexes, quelquefois trop fort, et les seuls que ça embarrasse sont mes deux traitres d’enfants, quand je fais une faute de prononciation! 
J’ai appris à tirer au 9mm et au 45 sans sourciller, et je suis plutôt bonne. Je conduis sur des autoroutes labyrinthiques à plusieurs niveaux, seule, je me perds et me retrouve sans même paniquer, tout ça en chantant à tue-tête! Je gère de mieux en mieux les alertes « tornade », et hier j’ai même fait une brioche en regardant le flash météo d’urgence. 

Je suis Sophie 2.0.





Comment expliquer que, oui, on est triste d’envisager le retour. Difficile à accepter pour ceux qui sont restés et sont, eux, ravis de nous voir revenir. Comment trouver les mots pour dire que la vie ailleurs est ce qui nous plait. Que goûter à l’ailleurs est bien un virus. Que ceux qui disent que lorsqu’on part une fois, on a du mal à revenir ou que l’on ne revient pas du tout. 
Le retour c’est comme un deuil. On abandonne ce qui est devenu notre nouveau chez nous. Moi qui pleurais quand il a fallu me séparer de ma première voiture… 

Hico
Hico, Texas


La France, c’était chouette de la quitter -pour toutes les raisons qui me sont personnelles et que j’ai citées plus haut- un peu comme une délivrance. C’était encore mieux de la retrouver comme une touriste, sous le Soleil estival, attendu par la famille et les amis, un peu comme le Messie! Aller dans les supermarchés pour faire des achats de calissons et de biscuits et avoir l’impression de rentrer dans la caverne d’Ali Baba. C’est en s’éloignant qu’on la trouvait encore plus jolie et plus attirante, la France. 

Revenir, c’est retrouver ce que l’on a connu la majeure partie de notre vie. C’est abandonner l’exotique inconnu et la découverte perpétuelle pour le goût fade du déjà-vu. 

Austin et son boardwalk sur le Lady Bird Lake
Austin et le Boardwalk sur le Lady Bird Lake


Le problème, c’est pas vous, c’est nous. C’est tout ce qui nous saisit, nous surprend, nous étonne à chaque instant que l’on vit ici et qui va disparaître de nos vies, un jour ou l'autre. C’est ce mantra que je me répète bizarrement à chaque fois que le quotidien est désagréable et pesant:  « -Hey, t’as les nerfs, oui! Mais t’as les nerfs au Texas!» et qui n’existera plus un jour ou l’autre. 
C’est le plaisir que j’ai d’entendre mes enfants parler en anglais couramment; le plaisir de regarder l’horizon et de voir des couchers de Soleil exceptionnels; c’est lutter contre le vent et observer des buissons « tumbleweeds » traverser la rue comme dans un film de John Wayne; c’est prendre la route du Sud et oublier que les virages existent; c’est marcher dans la nature et chercher des plantes vénéneuses inconnues; c’est aller dans l’Ouest et voir un mur d’orage avancer vers toi alors que le Soleil de plomb brille partout autour; c’est saluer mon voisin qui revient tous les jours du boulot avec un fusil à viseur et son pare-balles annonçant « Texas Ranger »; c’est déposer mon fils à son match avec son gant et sa batte et entendre les parents s’égosiller « Attaboy! » dès qu’un gamin touche la balle; c’est manger un barbecue, des black-eyed peas, des nachos et des jalapeños et avoir la bouche et les lèvres en feu pendant une heure; c’est s’émerveiller sur la highway dès que la skyline de Dallas ou de Fort Worth se découpe sur le bleu du ciel; c’est connaitre toutes les régions du Texas et savoir toutes les apprécier.

Le Texas, je ne le quitterai jamais vraiment, il restera en moi pour toujours. 


Le Capitole d'Austin
Le Capitole à Austin

« Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend jusqu’au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir… » Colette





mardi 8 mars 2016

L'affaire.

Fil de fer barbelé posant les limites d'un champ, d'un ranch, d'une propriété.



Je voulais te parler des élections américaines, et au dernier moment j’ai réalisé que je ne t’avais jamais parlé de la sécurité et de la justice au Texas, et plus précisément dans ma ville. Il s’agit d’un sujet important, essentiel même dans un état où l’on a le droit de porter son arme de poing au côté et de s’en servir si l’on est menacé. Et c’est surtout un argument de poids au moment des élections. 
J’ai choisi de te parler de deux drames qui viennent de toucher la population texane et plus précisément ma région, le Tarrant County.

Depuis l’affaire Ebola à Dallas, nous avons décidé de ne plus regarder les informations télévisées. Nous avons eu la confirmation à cette époque que plus encore qu’à la télé française, les chaines d’infos américaines adorent le sensationnalisme et sont prêtes à créer la panique au sein de la population pour faire de l’audimat.
Avec le recul, nous réalisons combien nous étions crédules et innocents devant cette vague de « désinformation", qui nous abreuvait non-stop jusqu’à l’écœurement. Crois-moi le réveil est pire qu’une gueule de bois et tu promets que « Plus jamais, vous avez entendu? Plus jamais on allume cette télé! » 
Et comme un toxico, tu rechutes quelques semaines plus tard, parce que tu t’es endormi dans ton fauteuil et que ton doigt dérape sur la télécommande.  « Y’a quoi à la télé? »
Et là, tu comprends mais un peu tard qu’il est 22h15 et que c’est l’heure de la désinformation. Tu es sidéré par un reportage qui te fait frémir. Les pommes vendues dans ton supermarché préféré aurait provoqué des cas d’infection par e-coli. Tu te surprends à examiner tes trois pommes vertes racornies d’un oeil méfiant: « On les jette, hein? »
Je te laisse digérer - je choisis mon vocabulaire à dessein- cette information et t’annonce que ce reportage a sonné le glas des infos de 22 heures dans notre maison.

Pour en revenir à l’affaire qui nous préoccupe aujourd’hui, je n’en ai donc pris connaissance que par le plus grand des hasards. J’ai activé les alertes news en plus des alertes météo il y a quelques mois sur mon téléphone, histoire de savoir à quelle vitesse le monde va dans le mur et surtout pour continuer à m’en plaindre à bon escient.
C’est ainsi que mardi dernier, qui était aussi Super Tuesday, j’ai reçu un message m’informant qu’un « shooting » avait eu lieu dans un parc de ma ville.

Mardi dernier un homme que je nommerai G., je ne lui prêterai aucune gloire posthume, a été relâché de la prison de Euless à 11 heures 23. G., accro aux methamphétamines, a dans la foulée cambriolé une maison où se trouvaient des armes. Quelques heures plus tard, aux alentours de 14 heures 30, des coups de feu ont retenti dans un parc de la ville. Les riverains ont aussitôt appelé le 911. Des officiers sont arrivés rapidement sur les lieux. G., retranché dans des conduits d’évacuation d’eau, met en joue les officiers. Pris dans l’embuscade, l’Officier Hofer, 29 ans, est mortellement touché.

Dans notre ville, c’est un choc. Notre petite bourgade est un coin très tranquille où il ne se passe généralement rien de grave. Très vite, les funérailles sont organisées. Elles se tiendront dans Pennington Field, le stade de la ville. Tous les habitants sont invités à lui rendre hommage. Le parcours du cortège nous est envoyé par e-mail. Nous pouvons nous rendre au stade, comme l’équipe de football de Trinity High School qui sera présente dans les gradins, ou attendre sur les bords de route avec des drapeaux et des fleurs pour le saluer une dernière fois. 
Je choisis cet exemple pour te montrer combien ma banlieue est calme et peu propice aux faits divers qui peuvent agiter d’autres régions d’Amérique. Les cambriolages sont les délits les plus courants et encore, cela demande une inclination pour le suicide chez le voleur. Si je te raconte qu’une connaissance nous a expliqué récemment avoir installé un panneau sur sa porte proclamant:  « Go away or I shoot », tu comprends mieux ce que je veux dire?

La seconde histoire que je vais te raconter a eu un retentissement national. Elle s’est déroulée dans Tarrant County aussi, mais au sud de Fort Worth.
Je vais te parler de l’affaire « Ethan Couch ». Les faits remontent au 15 Juin 2013. 
Il est tard, un peu plus de 23 heures. Ce soir-là, Brianna, une jeune femme de 24 ans rentre chez elle. Alors qu’elle passe devant le domicile de la famille Boyles, un pneu de sa voiture éclate, elle fait une embardée et accroche la boîte aux lettres des Boyles. Ces derniers sortent de la maison, accompagnés de leur fille de 21 ans pour constater les dégâts. A ce moment-là, le pasteur Jennings qui rentre chez lui en voiture avec ses deux fils ados, s’arrête pour demander si tout va bien. Brianna est au téléphone pour prévenir sa mère. Le père Boyles range sa boîte aux lettres inutilisable dans le garage.
A quelques kilomètres de là, le jeune Ethan Couch, 16 ans, a organisé une petite soirée dans la villa de son père. Ils sont six jeunes de son âge. Ethan vient d’une famille aisée. Très aisée. Et bourrée de problèmes. Alcool, drogue, violence, je ne rentre pas dans les détails. Alors qu’il n’avait que 13 ans, le gamin empruntait la voiture de son père pour se rendre à l’école. « Il en est capable, il est le meilleur conducteur que je connaisse » assure le père. Avant de menacer l’administration scolaire: « j’achèterai l’école » et de finalement en retirer son fils d’après les documents officiels. Car la famille est connue des services de police. A 15 ans, Ethan est surpris en train de se soulager dans un coin de parking par un officier de police:  « Qu’est ce que vous pensez que je suis en train de faire? » oppose-t-il à l’officier sidéré qui lui demande ce qu’il fabrique. L’officier découvre une gamine de 14 ans, nue, en plein coma éthylique à l’arrière de la voiture du gamin.

Le soir du 15 Juin, la fête est plus qu’entamée quand il décide d’emprunter l’imposant pick-up de la société de son père. 
Ethan a bu: son taux d’alcoolémie est trois fois supérieur à la limite autorisée et plus tard, il sera aussi détecté positif à la marijuana et au Valium. A sa copine qui s’inquiète de son état, son meilleur ami répond qu’il est capable de conduire. Ils s’entassent dans l’énorme véhicule: deux à l’avant, deux à l’arrière, et deux dans la benne.
La gamine qui est assise à l’arrière se met à hurler quand elle voit qu’il conduit dans la voie de gauche, mais il trouve ça drôle, et accélère…
Il roule à plus de 110km/h sur une route limitée à 65km/h.
Le choc est d’une violence inouïe, il percute la voiture de Brianna sans jamais avoir effleuré les freins. Il tue sur le coup Brianna, le pasteur, la mère et la fille Boyles. 
L’état des corps laisse penser qu’il s’agit d’un crash aérien. 

Quelques mois plus tard se tient le procès à huis-clos. Le psychologue de la famille, Dick Miller, va tenir des propos qui ont mis en émoi l’Amérique entière. Il va plaider la cause du gamin qui n’est finalement qu’une victime de l’irresponsabilité de ses parents. Il plaide un cas d’« affluenza ». Il s’agit d’un néologisme, une sorte de croisement entre les termes « affluence » (richesse) et « influenza » (grippe).
Une sorte de maladie créée par nos sociétés et leurs petites banlieues dorées, un mal-être dû à la surconsommation. Une dégénérescence de l’enfant gâté. Un gamin qui ne sait pas ce qu’est une limite parce que les limites, il les achète.
Le jugement rendu, alors que la défense avait requis 20 ans fermes, a été de 10 ans de probation et l’obligation de suivre une désintox. Point.
Ethan s’est aussitôt envolé pour la Californie où il est entré en rehab. Une clinique de luxe, où l’on propose équitation, natation, cours de cuisine… Deux mois plus tard, avec une facture de 90 000 Dollars, Ethan est rentré à la maison avec son père contre l’avis de tous les professionnels. 

Depuis? 
C’est ça qui est intéressant et qui a fini de révolter les Américains et qui aujourd’hui, à l’époque des élections, risque de peser dans la balance. Mi-décembre, Ethan a disparu après qu’il ait été reconnu sur des vidéos en train de jouer au beer-pong, violant allègrement sa probation. Il s’était donc réfugié avec sa mère à Puerto Vallarta, au Mexique, histoire de fuir les ennuis…
Extradé par le Mexique et de retour au Texas, il est aujourd’hui emprisonné à la prison pour adultes du Tarrant County jusqu’à son 19e anniversaire, au mois d’Avril.

Les élections américaines, avant de prendre une tournure nationale, se jouent au niveau local. Il ne faut pas oublier qu’en Amérique, le système électoral est un suffrage universel indirect.
Les deux hommes qui s’affrontent pour le poste de Shérif sont républicains.
Le Shérif Anderson du Tarrant County qui se présente à sa propre succession pour la 5e fois, a déclaré qu’une fois de plus « Ethan échappe à ses responsabilités », et a rajouté que le système judiciaire n’en n’avait pas fini avec Ethan. Sur son site internet, il proclame même:  « Ethan Couch is going to see what the big boy jail is like ». (Ethan Couch va voir ce que c’est que la prison pour les grands)
De France, le nom de ce Shérif n’évoque pas grand chose. Anderson a été le porte-parole du Département de Police d’Arlington pendant 15 ans, il est co-fondateur de l’Amber Alert, adoptée dans de nombreux pays en cas de kidnapping d’enfant.

Bill Waybourn, qui se présente contre lui affirme que l’affaire Couch a permis au Shérif Anderson d’être sous les feux des projecteurs de façon opportuniste. Waybourn a donc clairement souffert d’un déficit d’images par rapport à Anderson. Il estime qu’Anderson n’est pas assez sur le terrain et que cela explique ses propres appuis. (« if he was out there in the community, I wouldn’t have the endorsements I have »). Sa candidature soutenue par le Tea Party, est aussi appuyée par le Gouverneur Rick Perry et la médiatique Taya Kyle, veuve du snipper Chris Kyle (immortalisé dans le film de C. Eastwood) deux anciens chefs de la police de Fort Worth, la Tarrant County Law Enforcement Association, la Fort Worth Police Officers Assocation et la Arlington Police Association.
Pour autant, les électeurs devront retourner aux urnes. Les candidats n’ont pas été départagés. 
Ethan, le petit garçon trop riche, élevé dans un milieu dysfonctionnel, a créé un débat qui va bien au-delà du fait divers. 
La question que l’on se pose ici, c’est: et si Ethan était né noir et pauvre? 
Et l’on pointe du doigt la justice à deux vitesses, à deux couleurs. 
Certains parlent d’échanges d’argent pour tenter d’expliquer l’inexplicable jugement que la juge Boyd n’a jamais renié.

L’affluenza, le nouveau mal des jolies banlieues américaines proprettes et aisées va-t-il faire partie de l’équation politique pour les Texans?




mercredi 24 février 2016

Hors-la-loi au Texas



Depuis quelques semaines, les enfants ont trouvé une nouvelle occupation. Impraticable en été à cause de la chaleur étouffante, des troupeaux de moustiques et de la pollution, l’hiver s’avère être la meilleure saison pour s’initier au geocaching. Le principe est simple, il suffit de télécharger une application sur son téléphone qui va donner les coordonnées GPS d’un lieu dans lequel est cachée une boîte. Une sorte de chasse aux trésors en quelque sorte. Il y a quelques jours, la traque du trésor nous a mené dans un terrain vague, à cinq minutes de la maison. Il est recouvert d’arbres, de rocailles et surélevé par rapport à la route. 
Deux panneaux sont plantés à l’entrée de ce terrain. Ils nous informent que nous sommes  dans un cimetière.
Un cimetière qui ne comporte que deux tombes. Il s’agit du Riley Cemetery et son histoire reflète bien dans quel coin du monde nous vivons, le far west, le vrai. 
Je vais donc t’emmener sur les origines de la création de mon patelin. Tu pourrais me répondre que tu t’en fous un peu et que tu ne t’intéresses déjà pas aux origines de ton bled, c’est pas pour te pencher sur le mien. La différence, c’est que je ne vais pas t’expliquer pourquoi ton village qui date de 45 ap JC porte le nom d’un vieux saint qui s’est fait arraché les yeux, les doigts et le nez puis écartelé entre quatre chevaux lancés au galop. Non, tu oublies que je vis au Texas: comme dans un vieux western, mon histoire va être peuplée d’indiens, de cowboys et de voleurs de chevaux…

Fort Worth, «  where the West Begins » (FW, là où commence l’Ouest)

C’est vers 1840 que les premiers colons arrivent dans la région. Elle est stratégiquement située entre Fort Worth et Grapevine. Fort Worth est alors la ville la plus à l’ouest de la « Frontier ». La signature d’un accord entre les tribus indiennes et la République du Texas, le « Treaty of Bird’s Fort », assure la quasi sérénité des colons du coin. Il a été signé sur les terres de la ville d’à côté, qui se nomme aujourd’hui Euless, et quand tu vois à quoi ça ressemble, tu as du mal à imaginer des tipis dans le parking du mall. 
Ce traité instaure une ligne infranchissable entre les territoires indiens et les colons. Un général de l’armée, le général Worth, décide malgré ce traité et la paix relative avec les Mexicains de suggérer la construction d’un fort , une sorte de base avancée a un endroit stratégique, au bord de la Trinity River. Le pauvre homme n’a pas le temps de voir son projet achevé, qu’il est emporté par le choléra. Son successeur, pour lui rendre hommage donne son nom au fort qui devient Fort Worth. Elle est alors la ville la plus à l’Ouest de la Frontier, et gagne son surnom de « city where the West begins ».
Evidemment, si tu es comme moi avant mon arrivée ici, Fort Wort t’est inconnue. Juste pour info, sache que la  metroplex de Dallas-Fort Worth est la quatrième plus grande métropole des Etats Unis, et la plus grande du Sud des Etats Unis. On est désormais loin du fort au bord de l’eau.
Bedford, mon bled quant à lui, n’existe pas encore mais les premiers colons choisissent de s’établir dans le voisinage du Fort, pour plus de sécurité. Notamment la famille de Jonathan Riley, tout juste débarqué du Kentucky, qui a obtenu un lopin de terre dans un endroit sauvage qui n’a encore ni école, ni nom. En 1861, c’est au tour de Milton Moore, un colon de Caroline du Nord qui décide de créer la première école. Il reçoit une douzaine d’élèves dans sa « log cabin », sa maison en rondins, un peu à la Charles Ingalls…
Entretemps, la « Frontier » s’est déplacée vers l’Ouest, et le fort de Fort Worth est abandonné par l’armée. Les colons en profitent pour en prendre possession et commencent à fonder une ville: école, commerces, poste, la Southern Pacific Stage Line y a même établi une escale avant la grande traversée vers la Californie.

 Bedford, Texas nommée en l’honneur de Bedford, Tennessee.

Le coin se développe. Notre petite ville de Bedford commence à accueillir des groupes de colons du Tennessee vers 1870, qui nomment leur nouvelle ville du nom, je te le donne en mille, de celle qu’ils viennent de quitter! 
Weldon Bobo (on est passé près du pire malgré tout, ils auraient pu décider de la nommer Bobocity), tout juste arrivé du Tennessee, va ainsi devenir l’heureux  propriétaire du General Store, le receveur des postes mais aussi participer à la création de la première église de la ville. Les conditions requises à la naissance d’une nouvelle ville sont remplies:
Bedford est née.

Le folklore et les légendes peuvent maintenant agrémenter le quotidien de la ville. 
Comme l’Ouest en général, le Texas ne fait pas exception et attire toute sorte de repris de justice, opportunistes, voleurs et hors-la-loi. De Butch Cassidy à Jesse James en passant par Bonnie et Clyde, ils sont tous passés par le Texas. Le jeune John Goldsmith arrive avec ses parents et treize frères et soeurs  en 1870 à Bedford,  et choisit malheureusement de suivre la voie de ses illustres confrères. 
Après sa première arrestation, il est conduit dans la prison de Tarrant County. Il s’en échappe après avoir gravement blessé le gardien. Rattrapé et accusé d’avoir volé un cheval, il retourne en prison. C’est lors de sa deuxième tentative de fuite qu’il est mortellement atteint. Il a 22 ans.
On ne sait pas trop où enterrer le hors-la-loi. Finalement, sa soeur Sarah, épouse d’un fils Riley, accepte qu’il soit enterré sur les terres de son époux.
Aujourd’hui, il ne reste de sa tombe qu’un tas de pierres brisées situé à quelques pas de l'autre tombe du cimetière. La date qui figure sur la pierre tombale est 1899. Leurs descendants eux-mêmes doivent avoir oublié jusqu'à l'existence de ces tombes.

En faisant quelques recherches sur ce cimetière, j'ai eu la surprise de lire un article sur les fantômes de Bedford. Un vieil indien, une jeune femme morte en couches et des hors-la-loi revanchards roderaient à la nuit tombée dans certains quartiers. J'ouvre l'oeil.








dimanche 21 février 2016

Medicine Man -partie 2


En bonne française qui n’a pas froid aux yeux, j’aurais pu te raconter avec moult détails ma visite chez la gynécologue américaine. Parce que vraiment c’est différent, mais occasionnellement, la pudeur et la bienséance me retiennent de tenir des propos trop légers. Bon, surtout l’hypothèse d’embarrasser ma mère qui fait la promotion de ce blog auprès de ses copines. J’imagine les réactions compatissantes à l’atelier peinture du Mardi: « ta fille écrit des histoires cochonnes alors?! »
Mais sache malgré tout que c’est comme dans les livres libellés « Romance érotique»: la gynécologue se croit obligée de te commenter tout ce qu’elle te fait, genre: « Je m’assois sur le tabouret. Je me rapproche. Je soulève le drap. vous allez sentir quelque chose vous effleurer la cuisse. Ne vous inquiétez pas, c’est ma main… » 
Je ne m’inquiétais pas mais maintenant si. 

Sinon, avant de passer à autre chose, j’ai discrètement pris une photo d’un passage du questionnaire distribué à l’arrivée, juste pour toi. Tu apprécieras l'attention j'espère, surtout que mes voisins de salle d’attente ont eu l’air très surpris par la photo.

Je crois que ça se passe de traduction.


Comme tu le vois, je l’ai joué femme mystérieuse. 
Inutile d’insister, vous n’aurez rien de moi. 

Tout ça pour introduire la suite de mes «chroniques médicales américaines », Medicine Man -partie 2:

Je fais partie de cette heureuse mais inconsciente génération de sudistes qui a passé son adolescence, les pieds dans le sable, à rôtir sous notre généreux soleil méditerranéen, sans écran total. Bref, je dois donc, à peu près tous les six mois, aller m’exhiber chez un dermatologue que je paye chèrement pour qu’il ait l’opportunité d’examiner ce corps de déesse.

La première année de notre arrivée, j’ai donc sondé fébrilement les sites, passant en revue les appréciations, likes et étoiles, pour dénicher un dermato. Connaissant le penchant pour l’embarras des américains dès qu’une miche est aperçue sur une plage ou dans une rue de La Nouvelle Orléans, je me suis dit que j’irais donc « me faire voir » chez une doctoresse.
Voici le récit de ces visites.

A l'heure dite, je rentre dans un cabinet tellement grand que je me demande si je ne suis pas arrivée direct à l’hôpital. A l’accueil, deux fenêtres s’offrent à moi, je pourrais presque me croire aux sports d’hiver en train d’acheter un forfait, mais non. Dans chacune, une secrétaire m’attend et s’apprête à me poser LA question la plus importante de la visite: « Votre carte d’assurée et votre ID (carte d’identité), s’il vous plaît. »
Là, d’humeur cocasse, j’hésite à demander un forfait journée. 
Elle refuse tout d’abord poliment ma carte d’assurée qu’elle ne reconnaît pas et ne cherche pas à reconnaître. J’insiste. Elle me promet donc de joindre par téléphone mon assurance: « Je vais voir ce que je peux faire ». Je soupire et vais m’assoir.  J’ai encore beaucoup à apprendre sur l’art de manœuvrer les secrétaires américaines.
Je m’apprête maintenant à dégainer mon stylo. La secrétaire m’a tendu un questionnaire de dix pages, m’expliquant que je vais payer, que je sais que je vais payer, et qui d’autre peut payer à part moi. J’ai dix minutes. Mais comme je n’avais pas prévu la paperasserie -je suis française, habituée à aller chez le docteur pour me faire soigner pas pour préparer un grand oral- je suis déjà en retard, surtout que le cabinet est à Dallas et qu’en bonne banlieusarde j’ai tendance à me perdre même avec mon GPS.
Mais ce n’est pas grave, qui prendrait le risque de m’ausculter ici sans m’avoir fait signer la reconnaissance de dettes que j’ai sous les yeux?
Je plaisante mais c’est un peu ça quand même…
Enfin, j’en ai fini avec mon dossier.

Une première personne que j’identifie comme une infirmière appelle mon nom et m’invite à passer la porte. Je comprends que j’ai passé la première épreuve avec succès. Mon assurance doit avoir décidé de couvrir mes arrières.
Je traverse un long couloir, comportant beaucoup de portes qui se font face, je rentre dans l’une d’elles où m’attend une autre jeune personne qui ne s’identifie pas. Elle est derrière un écran mais me parait un peu jeune pour être la doctoresse. 
Là, s’engage un échange curieux: l’infirmière me pose exactement les mêmes questions que celles posées dans le dossier que j’ai rempli le plus consciencieusement possible. Elle désire savoir de quoi sont morts mes ancêtres sur trois générations, de quelles maladies souffrent mes parents et cousins au second degré.
Comme il s’agit de ma première visite, je suis un peu intimidée, attentive  et soumise, surtout que la nana derrière son écran, prend des notes de tout ce que je dis et s’arrête de taper quand je m’arrête de parler. 
Je repense à un épisode de Homeland que j’ai vu la veille et je commence à transpirer.
On est subitement interrompu par l’entrée dans la pièce d’un jeune gars, en blouse, qui se présente comme un interne et qui me demande la permission de lui exhiber mes grains de beauté.
A ce stade-là, non seulement, je me demande si je suis l’attraction du jour: « venez voir la française en culotte dans la 12, » mais en plus je commence à m’impatienter un peu. Mais, bon, ça nous fait passer le temps, je vous en prie, scrutez…
Parce que, oui, je suis en culotte, mais j’ai aussi enfilé la chemise d’hôpital bien connue celle dite « du toit ouvrant », ouverte à l’arrière. Evidemment, on a eu la délicatesse de me laisser seule à ce moment-là. 

Donc, le jeune interne fait semblant d’examiner les grains de beauté situés sur mes jambes et mes bras, il est embarrassé. Je pourrais avoir un furoncle sur le ventre, il ne le saurait pas. 
C’est alors que le Messie, fait son entrée. On est déjà quatre là-dedans: celle qui tapote sur son clavier mes moindres paroles, celle qui la regarde, celui qui me regarde, et moi, qui les regarde. La dermato entre, le jeune gars s’en va après un compte-rendu détaillé de mes mollets et de mes biceps. Elle fait son job, trois minutes montre en main.
J’ai passé plus de temps à bavasser avec l’accueil et les nanas non-identifiées en pyjama vert qu’avec elle.

Trois ans plus tard.

Lors de cette visite, j’ai décidé de choisir un dermato dans ma ville. Après avoir analysé CV, photos et adresses, j’ai donné quelques coups de fil aux docteurs les mieux notés. Toutes les dermatos femmes que j’avais élues, au look très étudié, très hollywoodien, n’avaient pas de rendez-vous disponibles avant trois mois. Je me suis donc rabattue sur un vieux monsieur, dans ma bourgade, que j’ai appelé sans attendre.

« -Bonjour, je voudrais un rdv avec Dr Machin.
-Quelle est votre assurance s’il vous plait?
-Truc.
-Je ne crois pas que l’on travaille avec celle-là.
-?
Elle a dit:  « Je vous passe le service assurances »
J’ai entendu: « -Je vous passe le service imaginaire des assurances inconnues. »
Le téléphone a sonné dans le vide quelques minutes. 
J’ai fini par raccrocher.

C’est sans compter que j’ai beaucoup appris en trois ans. 
Mon assurance et moi nous sommes donc déplacées jusqu’à l’antre de la secrétaire qui ne connait pas Truc.
Quelques minutes après avoir quitté la maison, je me gare dans le parking, sans GPS, et trouve le cabinet dans des locaux à taille humaine -texane, tout est relatif-, ça change.
J’ouvre la porte, deux guichets à forfaits s’offrent à moi, l’une des secrétaires est au téléphone, l’autre mange des gâteaux qu’elle extrait du tiroir à sa droite et manifestement, ne devrait pas. Elle m’ignore. Elle m’ignore et mâche. 
Je pourrais m’énerver, mais tu oublies que désormais j’ai un peu plus de trois années d’entrainements derrière moi. Trois années à me faire appeler Darling  et Honey par des secrétaires qui n’en pensent pas un mot et qui sont fatiguées dès que je dégaine mon assurance d’expat, qui leur est inconnue.
Mais j’ai bien appris ma leçon, encore plus qu’ailleurs, n’affronte jamais quelqu’un en frontal ici. Sois poli, transforme-toi en victime s’il le faut, ça marche à tous les coups. Pense Gandhi.
Mes parents ne me reconnaitraient plus.

Quand enfin, elle lève ses yeux beaucoup trop maquillés vers moi, je lui souris et lui explique ma venue. « Carte d’assurée et ID » réplique-t-elle.
Je lui tends ma carte en souriant, ce qu’elle se refuse à faire, peut-être  que je la dérange au moment du snack matinal, ou qu’elle a peur d’en avoir entre les dents. Je lui offre le bénéfice du doute.
Elle prend ma carte, la survole du regard, la tient entre deux de ses doigts boudinés à la manucure parfaite, me l’indique d’un geste du menton, et me demande avec une grimace de sa bouche écarlate, l’air écœuré:
« C’est une carte d’assurée ÇA? 
J’ai pensé: « Non, c’est ma carte neige, connasse ».
Mais j’ai dit: « Je vais régler ma visite, ça sera plus simple » en souriant, la tête penchée sur le côté pour accentuer notre connivence. 
Devine quoi: elle m’a donné rendez-vous le lendemain matin à la première heure, et m’a tendu le dossier de douze pages (tu sais le dossier médical qui remonte jusqu’à Vercingétorix et qui comporte des questions sur ta crédibilité bancaire) et m’a dit d’un air exténué, « comme ça, ça sera fait ». 
Le lendemain, je suis arrivée à l’heure. J’ai été reçue de suite, par tiens-toi bien: un chouette dermato, qui parle couramment le français, amoureux de Paris et de la Bouillabaisse -j’en aurais chialée d’émotion- dont la première vocation était d’être organiste.
Il a étudié avec les plus grands maîtres français. Il joue deux fois par an à Notre Dame de Paris. Il m’a ausculté avec professionnalisme, partout, et pour couronner le tout, m’a rattrapé à la sortie alors que j’en étais à faire un chèque à la fenêtre comptabilité, pour me montrer une photo de lui devant Notre Dame. La secrétaire s’en est arrêtée de manger, la main dans le tiroir, bouche bée.
Il y a quand même pire que de se faire compter les grains de beauté par un  vieux musicien francophile passionné, non?