En bonne française qui n’a pas froid aux yeux, j’aurais pu te raconter avec moult détails ma visite chez la gynécologue américaine. Parce que vraiment c’est différent, mais occasionnellement, la pudeur et la bienséance me retiennent de tenir des propos trop légers. Bon, surtout l’hypothèse d’embarrasser ma mère qui fait la promotion de ce blog auprès de ses copines. J’imagine les réactions compatissantes à l’atelier peinture du Mardi: « ta fille écrit des histoires cochonnes alors?! »
Mais sache malgré tout que c’est comme dans les livres libellés « Romance érotique»: la gynécologue se croit obligée de te commenter tout ce qu’elle te fait, genre: « Je m’assois sur le tabouret. Je me rapproche. Je soulève le drap. vous allez sentir quelque chose vous effleurer la cuisse. Ne vous inquiétez pas, c’est ma main… »
Je ne m’inquiétais pas mais maintenant si.
Sinon, avant de passer à autre chose, j’ai discrètement pris une photo d’un passage du questionnaire distribué à l’arrivée, juste pour toi. Tu apprécieras l'attention j'espère, surtout que mes voisins de salle d’attente ont eu l’air très surpris par la photo.
Je crois que ça se passe de traduction. |
Comme tu le vois, je l’ai joué femme mystérieuse.
Inutile d’insister, vous n’aurez rien de moi.
Tout ça pour introduire la suite de mes «chroniques médicales américaines », Medicine Man -partie 2:
Je fais partie de cette heureuse mais inconsciente génération de sudistes qui a passé son adolescence, les pieds dans le sable, à rôtir sous notre généreux soleil méditerranéen, sans écran total. Bref, je dois donc, à peu près tous les six mois, aller m’exhiber chez un dermatologue que je paye chèrement pour qu’il ait l’opportunité d’examiner ce corps de déesse.
La première année de notre arrivée, j’ai donc sondé fébrilement les sites, passant en revue les appréciations, likes et étoiles, pour dénicher un dermato. Connaissant le penchant pour l’embarras des américains dès qu’une miche est aperçue sur une plage ou dans une rue de La Nouvelle Orléans, je me suis dit que j’irais donc « me faire voir » chez une doctoresse.
Voici le récit de ces visites.
A l'heure dite, je rentre dans un cabinet tellement grand que je me demande si je ne suis pas arrivée direct à l’hôpital. A l’accueil, deux fenêtres s’offrent à moi, je pourrais presque me croire aux sports d’hiver en train d’acheter un forfait, mais non. Dans chacune, une secrétaire m’attend et s’apprête à me poser LA question la plus importante de la visite: « Votre carte d’assurée et votre ID (carte d’identité), s’il vous plaît. »
Là, d’humeur cocasse, j’hésite à demander un forfait journée.
Elle refuse tout d’abord poliment ma carte d’assurée qu’elle ne reconnaît pas et ne cherche pas à reconnaître. J’insiste. Elle me promet donc de joindre par téléphone mon assurance: « Je vais voir ce que je peux faire ». Je soupire et vais m’assoir. J’ai encore beaucoup à apprendre sur l’art de manœuvrer les secrétaires américaines.
Je m’apprête maintenant à dégainer mon stylo. La secrétaire m’a tendu un questionnaire de dix pages, m’expliquant que je vais payer, que je sais que je vais payer, et qui d’autre peut payer à part moi. J’ai dix minutes. Mais comme je n’avais pas prévu la paperasserie -je suis française, habituée à aller chez le docteur pour me faire soigner pas pour préparer un grand oral- je suis déjà en retard, surtout que le cabinet est à Dallas et qu’en bonne banlieusarde j’ai tendance à me perdre même avec mon GPS.
Mais ce n’est pas grave, qui prendrait le risque de m’ausculter ici sans m’avoir fait signer la reconnaissance de dettes que j’ai sous les yeux?
Je plaisante mais c’est un peu ça quand même…
Enfin, j’en ai fini avec mon dossier.
Une première personne que j’identifie comme une infirmière appelle mon nom et m’invite à passer la porte. Je comprends que j’ai passé la première épreuve avec succès. Mon assurance doit avoir décidé de couvrir mes arrières.
Je traverse un long couloir, comportant beaucoup de portes qui se font face, je rentre dans l’une d’elles où m’attend une autre jeune personne qui ne s’identifie pas. Elle est derrière un écran mais me parait un peu jeune pour être la doctoresse.
Là, s’engage un échange curieux: l’infirmière me pose exactement les mêmes questions que celles posées dans le dossier que j’ai rempli le plus consciencieusement possible. Elle désire savoir de quoi sont morts mes ancêtres sur trois générations, de quelles maladies souffrent mes parents et cousins au second degré.
Comme il s’agit de ma première visite, je suis un peu intimidée, attentive et soumise, surtout que la nana derrière son écran, prend des notes de tout ce que je dis et s’arrête de taper quand je m’arrête de parler.
Je repense à un épisode de Homeland que j’ai vu la veille et je commence à transpirer.
On est subitement interrompu par l’entrée dans la pièce d’un jeune gars, en blouse, qui se présente comme un interne et qui me demande la permission de lui exhiber mes grains de beauté.
A ce stade-là, non seulement, je me demande si je suis l’attraction du jour: « venez voir la française en culotte dans la 12, » mais en plus je commence à m’impatienter un peu. Mais, bon, ça nous fait passer le temps, je vous en prie, scrutez…
Parce que, oui, je suis en culotte, mais j’ai aussi enfilé la chemise d’hôpital bien connue celle dite « du toit ouvrant », ouverte à l’arrière. Evidemment, on a eu la délicatesse de me laisser seule à ce moment-là.
Donc, le jeune interne fait semblant d’examiner les grains de beauté situés sur mes jambes et mes bras, il est embarrassé. Je pourrais avoir un furoncle sur le ventre, il ne le saurait pas.
C’est alors que le Messie, fait son entrée. On est déjà quatre là-dedans: celle qui tapote sur son clavier mes moindres paroles, celle qui la regarde, celui qui me regarde, et moi, qui les regarde. La dermato entre, le jeune gars s’en va après un compte-rendu détaillé de mes mollets et de mes biceps. Elle fait son job, trois minutes montre en main.
J’ai passé plus de temps à bavasser avec l’accueil et les nanas non-identifiées en pyjama vert qu’avec elle.
Trois ans plus tard.
Lors de cette visite, j’ai décidé de choisir un dermato dans ma ville. Après avoir analysé CV, photos et adresses, j’ai donné quelques coups de fil aux docteurs les mieux notés. Toutes les dermatos femmes que j’avais élues, au look très étudié, très hollywoodien, n’avaient pas de rendez-vous disponibles avant trois mois. Je me suis donc rabattue sur un vieux monsieur, dans ma bourgade, que j’ai appelé sans attendre.
« -Bonjour, je voudrais un rdv avec Dr Machin.
-Quelle est votre assurance s’il vous plait?
-Truc.
-Je ne crois pas que l’on travaille avec celle-là.
-?
Elle a dit: « Je vous passe le service assurances »
J’ai entendu: « -Je vous passe le service imaginaire des assurances inconnues. »
Le téléphone a sonné dans le vide quelques minutes.
J’ai fini par raccrocher.
C’est sans compter que j’ai beaucoup appris en trois ans.
Mon assurance et moi nous sommes donc déplacées jusqu’à l’antre de la secrétaire qui ne connait pas Truc.
Quelques minutes après avoir quitté la maison, je me gare dans le parking, sans GPS, et trouve le cabinet dans des locaux à taille humaine -texane, tout est relatif-, ça change.
J’ouvre la porte, deux guichets à forfaits s’offrent à moi, l’une des secrétaires est au téléphone, l’autre mange des gâteaux qu’elle extrait du tiroir à sa droite et manifestement, ne devrait pas. Elle m’ignore. Elle m’ignore et mâche.
Je pourrais m’énerver, mais tu oublies que désormais j’ai un peu plus de trois années d’entrainements derrière moi. Trois années à me faire appeler Darling et Honey par des secrétaires qui n’en pensent pas un mot et qui sont fatiguées dès que je dégaine mon assurance d’expat, qui leur est inconnue.
Mais j’ai bien appris ma leçon, encore plus qu’ailleurs, n’affronte jamais quelqu’un en frontal ici. Sois poli, transforme-toi en victime s’il le faut, ça marche à tous les coups. Pense Gandhi.
Mes parents ne me reconnaitraient plus.
Quand enfin, elle lève ses yeux beaucoup trop maquillés vers moi, je lui souris et lui explique ma venue. « Carte d’assurée et ID » réplique-t-elle.
Je lui tends ma carte en souriant, ce qu’elle se refuse à faire, peut-être que je la dérange au moment du snack matinal, ou qu’elle a peur d’en avoir entre les dents. Je lui offre le bénéfice du doute.
Elle prend ma carte, la survole du regard, la tient entre deux de ses doigts boudinés à la manucure parfaite, me l’indique d’un geste du menton, et me demande avec une grimace de sa bouche écarlate, l’air écœuré:
« C’est une carte d’assurée ÇA?
J’ai pensé: « Non, c’est ma carte neige, connasse ».
Mais j’ai dit: « Je vais régler ma visite, ça sera plus simple » en souriant, la tête penchée sur le côté pour accentuer notre connivence.
Devine quoi: elle m’a donné rendez-vous le lendemain matin à la première heure, et m’a tendu le dossier de douze pages (tu sais le dossier médical qui remonte jusqu’à Vercingétorix et qui comporte des questions sur ta crédibilité bancaire) et m’a dit d’un air exténué, « comme ça, ça sera fait ».
Le lendemain, je suis arrivée à l’heure. J’ai été reçue de suite, par tiens-toi bien: un chouette dermato, qui parle couramment le français, amoureux de Paris et de la Bouillabaisse -j’en aurais chialée d’émotion- dont la première vocation était d’être organiste.
Il a étudié avec les plus grands maîtres français. Il joue deux fois par an à Notre Dame de Paris. Il m’a ausculté avec professionnalisme, partout, et pour couronner le tout, m’a rattrapé à la sortie alors que j’en étais à faire un chèque à la fenêtre comptabilité, pour me montrer une photo de lui devant Notre Dame. La secrétaire s’en est arrêtée de manger, la main dans le tiroir, bouche bée.
Il y a quand même pire que de se faire compter les grains de beauté par un vieux musicien francophile passionné, non?
Génial! Ton récit est simplement génial!
RépondreSupprimerMerci Almaenyan, you made my day!
SupprimerOn s'y croirait...Un régal ce récit !
RépondreSupprimerFlorent.
Merci Florent!
SupprimerJ'adore !!! Moi ma première visite chez le dentiste, juste parce que j'avais une douleur dans une dent s'est terminée avec un détartrage intensif d'une bonne demi-heure, avec grattage frottage et fil dentaire... Mais je suis quand même rentrée chez moi avec comme cadeau une brosse à dent électrique Sony dernier cri !!! Pas encore testé la gynéco...
RépondreSupprimerEspérons pour toi que ça soit moins intensif que chez le dentiste!!
SupprimerPar contre, notre dentiste ne nous offre que des vulgaires brosses à dents en plastique...
C'est tellement ça ! J'ai la chance d'avoir une assurance maladie "normale", par contre, pas d'être tombée sur un vieux musicien francophile :-) Ici, c'est plutôt comme ta première visite. Très expéditif et très approximatif...(j'ai déjà de la chance d'avoir pu monter ma chasuble au dessus de mes chevilles...).
RépondreSupprimerPas encore testé la gynéco au Texas, mais ça risque d'être rigolo, non ??
Si tu testes, j'ai hâte de lire ton compte-rendu...;-)
SupprimerGreaat reading your post
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