Quand je lis un blog d’expat qui me plait, je me pose toujours la même question au bout d’un certain temps:« Ils sont là pour combien de temps? »
Même si de nos jours on insiste sur le fait que les hommes peuvent être les accompagnateurs, l'homme est souvent à l’origine de l’expatriation. La femme, elle, est souvent à l’origine du blog.
La plupart des blogs d’expatriés que je peux vous citer comme ça, sans réfléchir, sont féminins. L’homme se cache quelquefois derrière les photos, les films ou la technologie, et des fois, il est juste le premier lecteur, celui que l’on scrute pendant qu’il lit le premier jet. Et que l’on engueule si il a le malheur de critiquer.
La plupart du temps, dans les blogs d’expatriés, on retrouve les articles concernant notre nouveau quartier, pays, état, on le décrit, on l’explique et on s’en plaint, on l’encense et on le descend. On explique pourquoi on l’aime, pourquoi on le hait, pourquoi on est parti, pourquoi on s’émerveille, pourquoi c’est différent et pourquoi c’est pareil. Pourquoi on regrette notre pays et pourquoi on est content de l’avoir quitté.
Mais il y a une chose que l’on retrouve moins souvent. C’est pourquoi on y retourne dans notre pays.
Certains rentrent plus tôt, ils sont peu nombreux à l’avouer, mais des fois, l’expat, c’est dur. Il y a ceux qui sont déçus, qui sont malheureux, ceux juste qui ne s’y font pas.
Et il y a ceux qui doivent rentrer, juste rentrer, parce que c’est l’heure.
C’est vrai qu’il est rare que les expats claironnent à travers leur blog la date de péremption de leur voyage. C’est un peu tabou et personnellement je n’aime pas que l’on me pose la question.
Ça renvoie à la fin de la parenthèse enchantée. Ça rend plus réel un moment que beaucoup redoutent.
Pourquoi le retour fait tant frémir?
Pourquoi l’impatriation est-elle redoutée?
Pourquoi retrouver son pays serait-il un problème?
Tout d’abord difficile d’expliquer que l’on n’est plus vraiment la même personne que celle qui est partie quelques années auparavant. Que les années passées à l’étranger nous ont changé. Et pourtant, c’est le cas.
Je suis partie de France dans une chaise roulante à cause d’une maladie dont je ne soupçonnais pas l’existence. Les crises de plus en plus longues et de plus en plus pénibles tout au long de ces années. Jusqu’à ce départ.
Le départ pour le Texas.
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Ma zone de confort |
L’éloignement de tous les tracas et les peurs et les appréhensions qui m’étouffaient ont changé la donne. Je me suis déchargée d’une partie de mes angoisses, je me suis prouvée que je pouvais dépasser mon stress. Je me suis débarrassée de ces chaines qui m’entravaient, de ces deuils impossibles à faire, de ces mauvaises influences qui m’empoisonnaient la vie et je suis née autre. Qui croirait qu’une zone de douane peut faire de tels miracles?
Coucher de Soleil sur le Boys Ranch |
On parle beaucoup de cette fameuse « zone de confort » ces derniers temps, surtout pour les expatriés.
Avoir le courage de sortir de ce périmètre que l’on connait et qui ne fait pas peur et s’aventurer un peu plus loin dans l’inconnu. Découvrir que l’inconnu est excitant et grisant. Ou plutôt, découvrir que l’on gère très bien l’inconnu et que l’on y prend plaisir.
Une sorte de revanche sur toutes les fois où, plus jeune, à l’école, les profs me trouvaient trop sage, trop timide et surtout un peu trop dans les jupes de ma mère… Les voyages scolaires me faisaient pleurer, les boums m’horrifiaient, prendre la parole en anglais devant la classe me paniquait. J’admirais ces autres qui étaient à l’aise partout, n’avaient aucun complexe, ou du moins, en donnaient l’impression, travaillaient mieux, n’étaient jamais malades, et surtout jamais stressés.
Partir c’était aussi s’éloigner de notre appart, au pied duquel je m’étais faite agresser. Quelque chose d’absolument inimaginable dans mon quartier texan, trois mecs assis derrière ta porte qui te promettent de te faire la peau à tes gamins et à toi.
Ce départ, c’était la chance de se retrouver et de se reconstruire. Je me sens plus libre que je ne l’ai jamais été. Ma maladie s’est faite oublier et je cavale comme un lapin dans les grands parcs de l’Ouest. Ici, jamais personne ne m’a reproché de ne pas travailler et de n’être « qu’une femme au foyer en vacances toute l’année », qui devrait « définitivement se trouver un job ». Je parle dorénavant en anglais sans complexes, quelquefois trop fort, et les seuls que ça embarrasse sont mes deux traitres d’enfants, quand je fais une faute de prononciation!
J’ai appris à tirer au 9mm et au 45 sans sourciller, et je suis plutôt bonne. Je conduis sur des autoroutes labyrinthiques à plusieurs niveaux, seule, je me perds et me retrouve sans même paniquer, tout ça en chantant à tue-tête! Je gère de mieux en mieux les alertes « tornade », et hier j’ai même fait une brioche en regardant le flash météo d’urgence.
Je suis Sophie 2.0.
Comment expliquer que, oui, on est triste d’envisager le retour. Difficile à accepter pour ceux qui sont restés et sont, eux, ravis de nous voir revenir. Comment trouver les mots pour dire que la vie ailleurs est ce qui nous plait. Que goûter à l’ailleurs est bien un virus. Que ceux qui disent que lorsqu’on part une fois, on a du mal à revenir ou que l’on ne revient pas du tout.
Le retour c’est comme un deuil. On abandonne ce qui est devenu notre nouveau chez nous. Moi qui pleurais quand il a fallu me séparer de ma première voiture…
Hico, Texas |
La France, c’était chouette de la quitter -pour toutes les raisons qui me sont personnelles et que j’ai citées plus haut- un peu comme une délivrance. C’était encore mieux de la retrouver comme une touriste, sous le Soleil estival, attendu par la famille et les amis, un peu comme le Messie! Aller dans les supermarchés pour faire des achats de calissons et de biscuits et avoir l’impression de rentrer dans la caverne d’Ali Baba. C’est en s’éloignant qu’on la trouvait encore plus jolie et plus attirante, la France.
Revenir, c’est retrouver ce que l’on a connu la majeure partie de notre vie. C’est abandonner l’exotique inconnu et la découverte perpétuelle pour le goût fade du déjà-vu.
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Austin et le Boardwalk sur le Lady Bird Lake |
Le problème, c’est pas vous, c’est nous. C’est tout ce qui nous saisit, nous surprend, nous étonne à chaque instant que l’on vit ici et qui va disparaître de nos vies, un jour ou l'autre. C’est ce mantra que je me répète bizarrement à chaque fois que le quotidien est désagréable et pesant: « -Hey, t’as les nerfs, oui! Mais t’as les nerfs au Texas!» et qui n’existera plus un jour ou l’autre.
C’est le plaisir que j’ai d’entendre mes enfants parler en anglais couramment; le plaisir de regarder l’horizon et de voir des couchers de Soleil exceptionnels; c’est lutter contre le vent et observer des buissons « tumbleweeds » traverser la rue comme dans un film de John Wayne; c’est prendre la route du Sud et oublier que les virages existent; c’est marcher dans la nature et chercher des plantes vénéneuses inconnues; c’est aller dans l’Ouest et voir un mur d’orage avancer vers toi alors que le Soleil de plomb brille partout autour; c’est saluer mon voisin qui revient tous les jours du boulot avec un fusil à viseur et son pare-balles annonçant « Texas Ranger »; c’est déposer mon fils à son match avec son gant et sa batte et entendre les parents s’égosiller « Attaboy! » dès qu’un gamin touche la balle; c’est manger un barbecue, des black-eyed peas, des nachos et des jalapeños et avoir la bouche et les lèvres en feu pendant une heure; c’est s’émerveiller sur la highway dès que la skyline de Dallas ou de Fort Worth se découpe sur le bleu du ciel; c’est connaitre toutes les régions du Texas et savoir toutes les apprécier.
Le Texas, je ne le quitterai jamais vraiment, il restera en moi pour toujours.
Le Capitole à Austin |
« Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend jusqu’au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir… » Colette