lundi 22 octobre 2018

Home sweet home (la suite)




Coquelicots et épis de blé
Idyllique mais à côté de la voie rapide.


Il n’y a rien qui me met plus en joie qu’un agent immobilier qui me propose une visite un samedi matin au lever du soleil, et cherche à me tenter avec une villa « qui se positionne très bien sur le marché en termes de prix et de prestations même si il y a en effet un problème de fissures mais rien qui ne soit pas réparable avec l’introduction de micro pieux dans le sous-sol ». 
Et moi, en mon for intérieur: « N’en dites pas plus, vous m’émoustillez. »

Le samedi suivant, l’agent se pointe en faisant visiblement la gueule pour une raison qui m’échappe, cherche à me semer en voiture pour se rendre sur les lieux du futur « drame », me serre la main d’une poignée flasque et blasée, ouvre un portail récalcitrant, rabat les volets d’une main rageuse pour mettre à jour la catastrophe: la maison est littéralement coupée en deux par une fissure si profonde que tu peux y enfoncer la moitié de la main. 
Evidemment que lorsque l’agent m’a proposé de « découvrir » l’étage, je me suis ruée dans l’escalier! J’ai pensé envoyer un message à ma mère pour qu’elle sache où chercher au cas où… et j’ai pensé que mon père, maçon en retraite, m’aurait probablement déconseillé de monter dans un escalier qui se tenait de guingois entre deux étages. 
Au premier, les papiers peints sont d’époque. Epoque moche. Mais ils sont à la hauteur de mes attentes. La fissure de l’étage sectionne la chambre à coucher comme la faille de San Andreas dans l’attente du Big One.
Même si les volutes bleues de la chambre me font de l’oeil, je ne m’attarde pas et je file dans le jardin. Alors que je suis en contemplation devant l’effondrement de certaines tuiles mises à mal par la fissure, l’agent m’annonce le prix exorbitant de la baraque. Je m’esclaffe et le son de mon rire se perd dans le bruit de l’autoroute, toute proche.

La poursuite de notre rêve, l’édification de notre nid, mes poules et mon potager ne m’ont jamais paru si loin. La semaine dernière je suis allée au marché de Aix. Pendant que mon poissonnier se marre en m’écoutant râler que mon four est trop petit pour le poisson qu’il me propose: 
«-Changez de four! 
- Je suis en location
-Changez de maison! » 
Je lui explique que la volonté est là. Une cliente près de moi m’interpelle et me dit qu’elle vend sa maison: « C’est quoi votre budget? » 
Je la regarde et je trouve sa question un peu directe, gênante et désagréable, là, au milieu du marché. On est toujours un peu trop riche ou pas assez pour les gens, et je n’ai pas envie d’être jugée par les spectateurs de la scène. Et je lui marmonne un montant moyen pour la région, entre mes dents. Elle sourit d’un air satisfait fort désagréable et me répond: « Ah oui, c’est un petit budget pour Aix, moi je vends ma bastide du 18è pour 4 fois ça. » 

Piquée au vif, après tout elle m’a interpelé juste pour le plaisir de se faire mousser avec sa bastide poussiéreuse, je lui réponds que je trouve le marché de l’immobilier largement surévalué dans la région. Je m’imagine une scène à la Astérix où je lui fiche un grand coup de morue dans son visage arrogant. Mais je préfère m’éloigner dignement, avec notre petit budget qui finira bien par nous payer un foyer du 20è siècle, ensoleillé, chaleureux, silencieux, avec des tomates et des poulettes dans le jardin.



(à suivre)





mercredi 17 octobre 2018

Home sweet home

Champs en Touraine l'été
La route vers l'accès à la propriété dans le sud. 


Je ne suis pas là pour dresser un bilan quelconque de mon année post retour. Personne n’a envie d’entendre des jérémiades. 
Je ne suis pas là non plus pour te parler du Texas. La page est tournée.
Je suis rentrée en avion avec mon chat sur les genoux, l’Homme à mes côtés, mes bagages dans la soute et des souvenirs plein la tête, avec des enfants heureux qui se réjouissaient de retrouver leurs familles. 

Il a bien fallu trouver un endroit où poser nos valises et nos cartons. Je vais te conter si tu veux bien, les aventures cocasses et curieuses auxquelles je suis confrontée depuis quelques mois. Car je côtoie dorénavant un corps de métier qui ne cesse de me surprendre et de m’agacer, les agents immobiliers.

Depuis un an, nous arpentons notre région, chronomètre en main, pour essayer de délimiter le territoire qui fera partie de nos recherches. 
Comme nous habitons dans une des villes les plus touristiques du coin, une des plus embouteillées et une des plus chères, nous avons du ré-examiner nos estimations à la baisse et le périmètre de recherche est actuellement tellement large que nous allons probablement changer de département. 

Nous sommes donc en location dans une maison et un certain nombre de nos cartons se trouve toujours dans le garage. Nous n’avons accroché aucun souvenir au mur en se disant que cela nous motiverait à bouger au plus vite. Un an que cela dure et ce n’est pas faute de chercher. Le retour m’a déprimé, la recherche d’une maison m’a laminé. Je fantasme en regardant les affiches publicitaires des magasins de bricolage et je jette rageusement les prospectus de décoration déposés dans ma boite aux lettres.

Depuis plus d’un an, je suis confrontée à des agents immobiliers qui me demandent mes critères, mon nom et mon email pour pouvoir me recontacter dès qu’une offre dans mes cordes s’annonce. Soit ils me promettent la lune et se montrent très enthousiastes pour mon « projet », soit ils sont défaitistes et m’expliquent que « dans la région, c’est compliqué et que vu notre budget et nos attentes, ça va être difficile ». Le genre de discours qui m’a fait proposer à l’Homme: « et en Bretagne, il est comment le bassin de l’emploi? »
Au vu des contacts et des propositions des agents qui se succèdent, je suis arrivée à la conclusion qu’eux et moi avons un sérieux problème de communication. Je n’ai pas d’autres explications.

Heureux celui qui n’a jamais eu à éplucher les annonces des agences immobilières. Le vocabulaire de l’immobilier doit vendre du rêve et te donner envie de visiter des trucs que si tes potes y habitaient tu t’inquiéterais pour leur santé mentale. 
Pour ma part, je suis bilingue. Comme l’expliquait Timsit dans un sketch que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre, il faut savoir lire entre les lignes. « Clair » ne veut pas dire ensoleillé, « calme » n’est pas silencieux, « à rafraichir », c’est le bordel,  « prévoir quelques travaux », ça sent la ruine, et « accès autoroutier » me fait frémir.

Mes premiers appels, naïve que j’étais, se faisaient sur un mode timide et je répondais aux questions des agents avec candeur et espoir: je partais dans des envolées lyriques expliquant que je souhaitais une maison inondée de soleil, des grandes chambres dans lesquelles les rideaux se soulèveraient au rythme du vent l’été, un grand terrain où s’ébattraient Charlie le cat, mes futures poules, mes abeilles et ma chienne de poche. Un studio attenant où l’on recevrait nos amis et la famille et si possible une grande cuisine d’été au bord de la piscine.

Ca c’était au début. 
Les visites qui ont suivi, ont ressemblé à des guets apens qui m’ont plongé dans un scepticisme affreux. C’est eux? c’est moi? c’est la région? J’ai donc réduit mon débit verbal en espérant que mes attentes seraient plus lisibles. Je souhaite une maison avec des chambres de taille correcte, un jardin avec des arbres, un salon et si possible du soleil. 

Le temps a passé. Les visites se sont poursuivies.
Mes explications sont devenues des exigences et je commençais chaque contact téléphonique ainsi : « je cherche depuis un an et j’ai le couteau entre les dents, je ne veux pas d’une maison en plaquo qu’on va payer pendant nos 40 prochaines années, je veux une baraque en dur, un terrain sur lesquels les promoteurs n’ont pas commencé par raser la nature, je ne veux pas un terrain inondable, je veux un soleil apparent et du silence. »
Mes visites sont devenues plus clairsemées. 

J’ai donc changé mon fusil d’épaule. Et j’ai décidé de visiter un peu tout ce que les agents essayaient de me refourguer. 
Tu demandes une baraque individuelle? Tu trouves la maison mitoyenne sur 3 côtés. 
Tu demandes du silence, tu finis au bord de l’autoroute.
"Mais madame, ce n’est plus la saison!" (on est en septembre!)
"J’ai quelques maisons qui pourraient vous correspondre". (On se parle depuis trois minutes mais tu me connais déjà?)


Les visites, quoique plus rares, ont commencé à revêtir un caractère étrange: j’y allais avec une curiosité malsaine qui s’apparenterait à du voyeurisme. Qu’y a-t-il de plus intrigant qu’une bastide du 18è avec piscine à 300 000 euros à Aix en Provence? 
Tu juges avec mépris les spectateurs qui se précipitaient pour apercevoir Elephant Man et ricaner? 
Je suis eux, version immobilière.
Je prends tout. Une cuisine ringarde aux couleurs improbables? Une fissure qui coupe la maison en deux? L’autoroute dans le jardin? La piste d’atterrissage dans l’axe du portail? 6000m2 de pinède mais en bordure de l’A7? 


A défaut de trouver une maison, j’ai trouvé un hobby. 


(à suivre)